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Un dimanche avec… Hervé Niquet

Dans une récente interview, Hervé Niquet se définissait comme « fainéant, curieux et un peu maniaque ». Nous, on le voit plutôt généreux, spirituel et impertinent ! Le temps d’un café avant d’attraper le Thalys pour Bruxelles où le chef d’orchestre habite depuis quelques années, Hervé Niquet partage ses moments de liberté, entre chasse aux trésors dans une brocante, exploits culinaires et souvenirs de grands palaces…

Au saut du lit, vous…

Hervé Niquet et Pepper, pendant les répétitions de Castor et Pollux en octobre 2015

J’ouvre la porte du jardin pour Pepper,  un petit schnauzer qu’on a sauvé de la SPA et de l’euthanasie, et qui me voue une admiration sans bornes.  Et après, la journée commence… mais peut-être je vais me recoucher un peu, surtout s’il ne fait pas beau… mais ce sont des on-dit, « il ne fait pas beau à Bruxelles »… Moi, j’ai été élevé avec de l’eau dans les bottes et la tête sous la pluie, en Picardie ; ça ne me dérange pas.

Une chose que vous ne faites jamais le dimanche ?

Je ne vais jamais à la messe ; c’est un souvenir d’enfance assez lourd. J’en fais assez musicalement pour m’obliger à y retourner ! Sinon, tout est possible. Même travailler.

Un rituel du dimanche ?

Pas de rituel, mais le but du jeu, c’est de rattraper les choses que je n’ai pas faites…  même si, en fin de journée, je me rends compte que ce n’est pas le cas ! Ce n’est pas forcément du travail, mais cela en est une partie. Il y en a deux : la musique, et les 80 % d’emmerdes que ça génère. Quand on a deux orchestres et un chœur, ce sont plein de choses qui ne sont pas musicales. Et c’est ça qui est en retard.

Une couleur, une odeur, un son ?

La couleur, c’est le vert. Je suis de la campagne, et dès que j’ai un instant, je suis dans le jardin. L’odeur, c’est celle, oh combien agréable, du gazon qu’on vient de couper. Et le son… il y a deux bruits le dimanche : les feignants qui ont une tondeuse à gazon qui fait beaucoup de bruit, et les sportifs qui ont la tondeuse à main. Pour moi, le bruit, c’est celui d’une tondeuse à main !

Une lecture du dimanche ?

C’est la lecture des voyages ; j’ai toujours un livre qui traîne que je n’ai pas pu finir. Lire est synonyme de « je suis tranquille, tout seul, et on ne peut pas m’emmerder ».

Ça m’est arrivé il n’y a pas longtemps, après une journée très chargée, j’étais épuisé… Je me suis remis sur mon lit que j’avais bien refait, comme un lit d’hôtel impeccable, j’ai ouvert la fenêtre qui donne sur le jardin, et j’ai lu trois chapitres d’un policier à la con. C’est le sommet du luxe ! Ne pas avoir de téléphone. Comme je suis sur plusieurs créneaux horaires, quand c’est fini au Canada, ça reprend au Japon.

Le jogging : est-ce un sport ou un vêtement ?

Le jogging, c’est l’enfer. Sport ou vêtement, c’est aussi moche. Une fois, on était en station dans une ville pour un opéra, pendant 15 jours, avec mes musiciens. Il y avait un très joli parc, et j’ai voulu y courir comme eux (surtout les vents, ils courent tous les matins pour entretenir la respiration). J’ai fait 400 mètres, et je suis rentré. Je peux faire 1500 mètres à la nage, pas courir 400 mètres.

La musique du dimanche ?

Il n’y a qu’un truc que j’écoute parmi les disques que j’ai enregistrés – j’en ai fait une centaine en 30 ans -, c’est du Boismortier. C’est vraiment un musicien du dimanche matin. Quelle que soit l’humeur, on se met un disque de Boismortier, on a la banane pour toute la journée ! C’est un musicien génial qui a inventé la bonne humeur ; il était connu, côtoyé et adulé pour ça. Encore aujourd’hui, les gens sont stupéfaits du bonheur que ça procure.

Sinon, c’est du jazz. Je fais une programmation de jazz au festival de Saint-Riquier, donc je vais beaucoup aux concerts. Il y a un club de jazz à côté de chez moi à Bruxelles, Music Village près de la Grand-Place. Le dimanche, je ne regarde même pas ce qu’il y a à l’affiche, je rentre. Les filles me connaissent, comme je suis un collègue, je paye moitié prix ; je reste au bar, et je fais de très jolies découvertes.

Si dimanche était un tableau ?

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Marché du Jeu de balle à Bruxelles

J’ai une passion pour le portrait, et par-dessus tout, le pastel XVIIIe. Sinon, il y a aussi des portraits formidables de Subleyras, ou sinon, un tableau de Pontormo. Les aplats de couleur de Pontormo, c’est ahurissant ! La rencontre de la Vierge et Elisabeth… ça pourrait être de la peinture contemporaine! Ça, c’est assez inaccessible.. mais des pastels, on en trouve. Le dimanche, au marché du Jeu de Balle à Bruxelles où on déballe une sorte de grande brocante : il y a des trouvailles. Des bougeoirs XVIIe pour 5 euros, des meubles formidables pour rien, des faïences, des cartons entiers de dessins… En plus, en Belgique, il y a eu une école de dessin extraordinaire, et on trouve de très beaux pastels pour 50, 100, 150 euros !

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Pontormo, Visitation (1528-29, Carmignano, à10km de Florence, Eglise San Michele)

La cuisine du dimanche ? Chez vous ? Ailleurs ?

Oh non, jamais ailleurs ! On vit dans les hôtels et les restaurants, et j’ai la nausée, même dans un bon restaurant, dès que j’ouvre le menu, parce que ce sont toujours les mêmes choses arrangées différemment…

J’ai la chance d’avoir un marché formidable à côté de chez moi, je fais mes provisions pour la semaine et je cuisine. J’aime beaucoup les ragoûts; c’est une préparation précise, et on peut en manger pendant 4-5 jours! Ça, c’est mon travail du dimanche – et les amis le savent, tout le monde accourt, et on se détend. Ce soir, un ami de longue date, directeur d’opéra, est à Bruxelles… J’ai appelé mon poissonnier, mais il ne faut pas que je rentre trop tard !

Le cinéma du dimanche ?

Ça fait un an que j’habite Bruxelles, alors le cinéma du dimanche, c’est : je m’habille, je sors, je fais le premier cinéma, rien ne m’intéresse, je fais le deuxième cinéma, rien ne m’intéresse, et je rentre !

Alors je trouve sur Youtube des films en noir et blanc, des nanars français avec tous les vieux acteurs de seconds rôles que j’adore. C’est toujours la même équipe entre les années 1930 et 60, il n’ y a pas de différence entre le cinéma et le théâtre à l’époque, et ils sont tous copains, on retrouve les mêmes d’une décennie à l’autre. Le moindre nanar avec Fernandel, c’est génial ! Et en plus, la qualité de l’image est formidable, parce qu’à l’époque, ils avaient encore de très bons objectifs, le noir et blanc est très beau – ça n’a rien à voir avec le numérique.

Un souvenir d’enfance du dimanche ?

La messe, oui… Comme je m’y emmerdais, j’ai beaucoup observé : la mise en scène, les acteurs, la déclamation, la rhétorique, la décoration, la sociologie des gens… Et quand j’ai retrouvé un livre sur tout ce qu’il fallait faire pour impressionner le chaland au XVIIe siècle dans l’évêché de Toul, j’ai eu la confirmation que c’était bien du théâtre !

Mon prof de piano animait les messes, et je suis rentré dans la chorale quand j’étais petit garçon. J’ai écrit des messes à deux voix (c’était niaiseux, les chants de messe après Vatican II, ils ont perdu des clients avec ça !), puis j’ai tenu l’orgue, dirigé la chorale, fait quelques auditions, et c’était parti ! Cette expérience de la scène m’a plus appris que mes études de piano : quand on faisait la messe, l’église était pleine !

Le blues du dimanche soir ?

Un bon souvenir, c’est toujours issu d’un mauvais souvenir : le dimanche soir, en octobre ou novembre, quand on n’a pas fait ses devoirs pour le lendemain… Et là-dedans, il y avait quelque chose de formidable : ma grand-mère, voyant cela, nous faisait des frites – des pommes de terre du jardin, deux bains – qu’on mangeait dans des cornets en papier journal. Le sommet du bonheur !

Si cette rencontre avait lieu le dimanche, où est-ce que vous m’auriez donné le rendez-vous ?

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Le jardin d’hiver de l’Hôtel Meurice

Au bar de l’hôtel Meurice, dans le jardin d’hiver. J’ai beaucoup de souvenirs là-bas. On y a fêté l’anniversaire de mes filles, et le personnel s’en souvient encore. « Et comment vont vos filles ? »  Ça fait vingt ans !

Là encore, c’est un esprit maison – un palace, c’est comme un orchestre, comme un théâtre : tout le monde est responsable de l’état et de l’esprit de sa maison devant un client… ou un spectateur. Dans un orchestre, c’est pareil, chacun doit faire son travail bien pour que ce soit parfait. Il n’y a pas de concession. Le jour où j’arrête la musique, j’ouvre un hôtel !

Je me souviens, quand je suis arrivé à Paris, je faisais mes études de danse et je n’avais pas un rond… Eh bien, de temps en temps, – ça coûtait 5 francs, un café au Ritz – je m’habillais bien et j’allais passer deux heures au bar du Ritz qui donne sur un grand jardin. J’étais le roi du monde !

Et maintenant au Meurice, vous quittez le bruit de la rue Rivoli pour vous retrouver dans un jardin d’hiver qu’ils ont découvert lors de la restauration il y a 25 ans. Il n’y a pas de musique, juste des bruits d’oiseaux. Et c’est le bonheur !

Gala - 10 ans du Palazzetto Bru Zane

Le lundi 7 octobre 2019

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(cet article a été publié pour la première fois le 18 juin 2015)