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Sur la route... avec les compositeurs

On imagine souvent les compositeurs comme des misanthropes solitaires, isolés dans un bureau austère, assis à leur table de travail entourés d’un silence absolu que l’on se figure propice à la création : il n’est est rien. Bien souvent, ils prennent la route et partent à l’aventure, parfois contre leur gré, parfois sur un coup de tête, pour assouvir leur besoin d’évasion mais aussi pour insuffler à leur musique tout ce qu’ils ont glané en chemin d’exotisme, de nouveauté, d’étonnement et de souvenirs. Partons en excursion avec Mozart, Poulenc, Strauss, Saint-Saëns et Bruckner.

Mozart et les lumières de Paris

Au cours de sa courte vie, Mozart semble avoir été l’un des compositeurs les plus séduits par la fièvre des voyages (on a ainsi calculé que Mozart avait pris la route environ 250 jours, dont la plus grande partie avant ses quinze ans !). Parmi ses destinations de prédilection – ce terme étant à prendre avec des pincettes puisque rares sont les voyages que Mozart a entrepris autrement que sous l’impulsion et la houlette de son père Leopold –, Paris figure en bonne place, puisqu’il y fera trois séjours qui auront sur sa vie des répercussions très différentes.

Leopold Mozart jouant en trio avec ses enfants
Louis Carrogis de Carmontelle, Leopold Mozart et ses deux enfants, 1764 | Musée Carnavalet – DR

 

Le premier, effectué alors qu’il n’a que sept ans, fait partie d’un long périple qui va durer trois ans. Il a notamment pour but de présenter l’enfant prodige à l’aristocratie et aux cours européennes. Ce séjour, qui va de novembre 1763 à début 1764, permet aux enfants Mozart de donner un concert devant les filles de Louis XV, les princesses Adélaïde et Victoire, dans leurs salons particuliers, mais aussi et surtout d’être admis – Graal suprême ! – par Louis XV et Marie Leszczyńska au Grand Couvert le soir du Nouvel An 1764. Peu de temps après, Mozart dédiera ses toutes premières sonates à Madame Victoire, qui seront imprimées à Paris.

Le second séjour suit de deux ans cette première villégiature parisienne. Mozart a maintenant dix ans et revient dans la capitale le 18 mai 1766, après être passé par l’Angleterre et la Hollande. Pendant ce bref séjour, il donne un concert chez le prince de Conti en compagnie d’autres musiciens célèbres.

Le troisième séjour sera de loin le plus riche en émotions : arrivé début mars 1778 avec sa mère dans un Paris gris et sale, après avoir fait escale à Munich, Mannheim, Strasbourg et Nancy, Mozart rencontre Joseph Legros, directeur du Concert-Spirituel, qui lui commande une symphonie concertante. Mais à l’insouciance des premières semaines succèdent rapidement les désillusions : les visites auprès de riches mécènes n’aboutissent à rien de concret, Legros écarte finalement la symphonie concertante. Pourtant, Mozart compose plusieurs pièces du ballet Les Petits Riens et participe au Concert-Spirituel du jour de la Fête-Dieu, le 18 juin, avec une symphonie (celle que l’on surnommera « Parisienne ») très applaudie. Mais le destin frappe durement : sa mère tombe malade et meurt le 3 juillet. Dès la fin de l’été, poussé par son père, Mozart quitte Paris pour rentrer à Salzbourg, mettant ainsi un point final à sa série de voyages à l’étranger.

Strauss au bord du Léman

Au terme d’une carrière ancrée dans un régime nazi avec lequel Richard Strauss s’est largement compromis, (poignées de mains un peu trop officielles, œuvres composées pour des événements célébrés en grande pompe par le régime) Richard Strauss quitte Garmisch-Partenkirchen en 1945 avec son épouse Pauline et le couple s’installe en Suisse. Débute alors une période sombre pendant laquelle le couple erre d’un lieu à l’autre : Zermatt, Ouchy, Pontresina, St. Moritz, Sils-Maria, Baden (où il compose ses Métamorphoses lors d’une cure thermale qui lui offre un peu de répit).

Pauline et Richard Strauss
Richard Strauss et son épouse Pauline – DR

 

Vue du palace de Montreux en 1906
Le Montreux-Palace l’année de son inauguration, en 1906 – © Musée de Montreux

 

En septembre 1947, Strauss finit par poser ses valises dans trois chambres situées à l’angle supérieur de l’aile ouest du Montreux-Palace. Il y mène une vie discrète et modeste, recevant de temps à autre quelques visites : son petit-fils Christian, alors scolarisé à Saint-Gall, Ernst Roth (directeur des éditions Boosey and Hawkes), son biographe et ami Willi Schuh, Karl Böhm, Maria Cebotari (créatrice du rôle d’Aminta dans La Femme silencieuse), Wilhelm Furtwängler.

C’est au Montreux-Palace, avec le Léman à ses pieds, que Strauss composa les Quatre derniers Lieder... et même un cinquième, Malven, dont l’histoire mérite d’être rappelée : un jour qu’il lisait la Neue Zürcher Zeitung, Strauss remarqua un poème signé Betty Knobel, qu’il s’empressa de mettre en musique. Il le dédia à la grande cantatrice Maria Jeritza, devenue Mrs Seery. Dans l’incapacité de copier sa composition faute de papier à musique, il eut l’imprudence de lui envoyer l’original en la priant de lui faire parvenir une copie en retour. Maria Jeritza n’en fit rien et conserva jalousement la partition, qui ne réapparut qu’après son décès : Malven fut créé le 10 janvier 1985 à New York. Enfin, Strauss termina à Montreux la partition du Double concertino pour clarinette et basson.

Poulenc et le sud

Parisien dans l’âme, Francis Poulenc a pourtant toujours beaucoup voyagé, principalement dans le but de trouver un lieu de travail calme, afin de pouvoir composer librement au piano et recevoir ses amis... et ses amants. En 1927, il fait l’acquisition du « Grand Coteau », non loin d’Amboise, une maison du XVIIe siècle qui surplombe la vallée de la Loire et le vignoble de Vouvray. Il y compose notamment Les Mamelles de Tirésias et son Stabat Mater. Mais il est également un habitué du sud : Brive-la-Gaillarde d’abord (où il compose notamment son ballet Les Animaux modèles), puis Beaulieu-sur-Dordogne, où il écrit sa cantate Figure humaine, et surtout Cannes, que lui a fait découvrir sa vieille tante dès son adolescence. Il y composera notamment son Trio pour hautbois, Chansons gaillardes et Le Bal Masqué, sans oublier La Voix humaine et sept des douzes tableaux de Dialogues des Carmélites.

Plaque commémorative dans les rues de Tourrettes-sur-loup

Vue du village de Tourrettes-sur-loup
Le village de Tourrettes-sur-Loup – DR

 

« J’adore Cannes l’hiver, mais l’été, je ne peux pas m’y sentir une seconde, vous comprenez ? C’est tout ce monde, car j’ai des goûts de vieux anglais. J’aime le midi l’hiver, au mois de janvier, avec les mimosas. Mais l’été, Tourettes me semble un endroit divin, parce que c’est frais, parce qu’il y a très peu de passages. » Perché sur un éperon rocheux, entouré de ravins, Tourrettes-sur-Loup aligne fièrement ses maisons patinées par le soleil et bénéficie d’une vue imprenable sur la Côte d’Azur. Poulenc a découvert cette Cité des Violettes en 1929 : son amant de l’époque, le peintre Richard Chanlaire, possède une galerie dans le village, qui est à l’époque un lieu de rencontre de musiciens, peintres et écrivains de tous bords. Poulenc y passera plusieurs étés entre 1952 et 1955, y achevant les cinq derniers tableaux de Dialogues des Carmélites, comme le rappelle une plaque au touriste d’aujourd’hui.

Saint-Saëns au soleil de Las Palmas

Dix-neuf séjours en Algérie, plus de quinze en Egypte, autant en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni, plus de dix en Espagne, trois voyages en Amérique Latine, deux aux Etats-Unis, un à Ceylan et Saïgon, un en Grèce, sans oublier Lisbonne, Vienne, Prague, Varsovie, Moscou, Saint-Pétersbourg et les 136 déplacements en France dans 62 villes : il n’est pas excessif de qualifier Camille Saint-Saëns de compositeur globe-trotter... au point parfois de ne plus disposer d’adresse fixe à Paris !

Caricature de Camille Saint_Saëns
Camille Saint-Saëns partant en voyage, caricature de Charles Giraud, ca. 1890 – © BnF

 

Comme motifs de cette bougeotte assumée (financièrement aussi !), plusieurs raisons s’imposent : des raisons médicales d’abord, qui le poussent dès 1873 à chercher en Algérie un climat le mettant à l’abri du rude hiver européen. Des raisons politiques ensuite, qui le conduisent par exemple à fuir la Commune de 1871. Des motivations personnelles enfin, dont l’une des principales est le besoin d’isolement pour vivre sa vie comme il l’entend. Après 1888, année où il perd sa mère adorée, Saint-Saëns multiplie les voyages pour tenter d’échapper à ce deuil écrasant.

Parmi toutes les destinations évoquées, une revient régulièrement dans sa vie : les îles Canaries, et notamment Las Palmas, capitale de la Grande Canarie. Mais que fait donc ce notable français sur une île où la présence britannique est  prédominante ? Fuyant officiellement le froid parisien, Saint-Saëns... ou plutôt Charles Sannois, représentant de commerce, mélomane et amateur d’art débarque à Gran Canaria. Il se réfugie à la Villa Melpómene, à Santa  María de Guía, chez son ami le consul de France Jean Ladevèze y Redonet. Chassez le naturel... il revient au galop ! Saint-Saëns ne peut s’empêcher de fréquenter les lieux de rencontres culturelles et il anime avec verve les soirées organisées au Club Littéraire de Las Palmas. Bien évidemment, les autres participants sont imméditement éblouis par l’étendue de ses connaissances musicales et littéraires. Le dénommé Sannois a même l’audace d’assister aux répétitions de la saison lyrique du théâtre Tirso de Molina et s’offre même le luxe de se disputer avec le maestro Bernardino Valle sur la manière dont il dirige l’orchestre !

Pendant ce temps, les cercles parisiens s’émeuvent de ne plus le voir paraître dans les manifestations culturelles de la capitale, et aussitôt les rumeurs les plus folles circulent quant à l’endroit où il se trouve et dans quel état ! L’émotion est telle que les journaux français finissent par publier sa photo... ce qui ne tarde pas à arriver aux oreilles de la presse locale... qui identifie aussitôt Camille Saint-Saëns !

Statue de Camille Saint-Saëns
La statue de Saint-Saëns devant le théâtre de Las Palmas – DR

 

C’est le début d’une adoration fébrile des citoyens canariens, qui ne se démentira jamais. Président honoraire de l’Orchestre Philharmonique de Gran Canaria, il le dirige gracieusement à plusieurs reprises. Il dédie également à Gran Canaria deux œuvres : la Valse Cariote pour piano op. 88 et Campanas de Las Palmas. Devenu officiellement « fils adoptif » de cette ville en 1900, il a donné son nom à une salle du Théâtre Tirso de Molina, une rue du quartier anglais de Ciudad Jardín et une rue de Santa María de Guía (la rue « Camilo Saint Saenz » – sic). Il a également été immortalisé en 1987 par le sculpteur Juan Borges Linares : sa statue majestueuse en pierre de carrière d’Arucas trône devant le théâtre de Las Palmas.

Anton Bruckner, fidèle à la Haute-Autriche

Il n’aura échappé à aucun mélomane que le monde musical, après plusieurs décennies de désamour, de bouderies et d’incompréhension mâtinée d’un certain mépris, s’apprête à célébrer en grande pompe le bicentenaire de la naissance d’Anton Bruckner. 

Carte de la Haute-Autriche
Carte de Haute-Autriche et de ses quinze districts

 

Maison natale d'Anton Bruckner
Maison natale de Bruckner à Ansfelden – DR

 

Né le 4 septembre 1824 à Ansfelden, près de Linz, Anton Bruckner aura toujours conservé de sa Haute-Autriche natale une certaine rusticité âpre, un rien naïve, qui l’aura toute sa vie desservi, moqué et raillé qu’il fut par les salons viennois raffinés. L’homme, comme le musicien, aime les plaisirs simples et mène une vie dépouillée d’artifices. Privé très jeune de son père auquel il était très attaché (il meurt à 45 ans de turberculose), Bruckner est placé chez les Jésuites à Saint-Florian, dont l’église abbatiale aux orgues célèbres l’a profondément marqué : c’est là qu’il se réfugiera régulièrement pour composer ses symphonies, occupant une cellule de moine d’un dépouillement extrême.

Orgue de l'Eglise Saint Florian
L’orgue Chrismann (1774) de l’abbatiale St Florian – DR

 

De très nombreux autres lieux, géographiquement assez proches, sont également emblématiques de sa vie : Linz, bien évidemment, où il fut organiste de la cathédrale de 1855 à 1868. Gmunden, Neufelden, Wolfer, ou encore le lac Attersee au bord duquel il aimait passer ses vacances. La petite ville de Steyr, « wo ich alljährlich so gern weile » (« C’est là où j’adore passer du temps »), le couvent de Wilhering (où Bruckner séjourna plusieurs étés pendant lesquels il se prit d’affection pour un singe indien qui occupait le petit zoo de l’endroit !), Kremsmünster, où fut créé son Requiem en 1847, Kronstorf où il vécut deux ans et demi dans une chambre de quelques mètres carrés mais où il se sentit « wie im Himmel » (« comme au paradis »), Vöcklabruck où il rendait régulièrement visite à sa sœur Rosalia... et bien d’autres encore, dont Vienne... mais ceci est une autre histoire ! 

Pour le passionné averti, près de trente-cinq lieux de Haute-Autriche proposent dès cet été concerts, rencontres, immersions sonores, expositions et ateliers pour rendre hommage à ce grand incompris solitaire.

Bonnes vacances en musique !