Shakespeare, Laurence Olivier et Jean-Louis Trintignant
Il y a 74 ans, le 25 novembre 1946, Laurence Olivier triomphait sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées dans le rôle-titre de King Lear à l’occasion d’une tournée de l’Old Vic Theater, l’une des plus importantes compagnies de théâtre londoniennes qu’il dirigeait alors depuis quelques années.
La troupe donna sept représentations consécutives du 25 novembre au 1er décembre 1946 devant des salles combles. Immense acteur shakespearien, dont la réputation de ses interprétations d’Hamlet et surtout de Richard III outre-manche avait précédé sa venue en France, Laurence Olivier avait alors également co-signé la mise en scène en plus d’endosser le rôle-titre.
Voici ce qu’en disait le critique Robert Kemp dans Le Monde au lendemain de la première : « Des images ne s’effaceront pas. Lear tenant dans ses bras Gloucester, la démence consolant la cécité. Lear portant le cadavre vêtu de blanc, le cadavre menu et disloqué comme un pantin, de Cordelia ; Lear entouré d’éclairs, hurlant contre le vent… Laurence Olivier, avec sa haute taille, sa voix mordante, son geste et sa diction d’une simplicité et d’une force souveraines – il sculpte les mots en taille directe, on dirait à coups de marteau, un peu comme faisait Sarah – a été ce que nous espérions de lui. C’est du Shakespeare sans retouches, à l’état natif… La lave sort du volcan !… Mais le meilleur exemple nous vient de la diction, si nette, si bien découpée, que pas un mot ne tombe sur scène; ils nous atteignent comme des projectiles. Nous aussi, jadis, nous possédions cet art. Mais on a cru que le « naturel » comportait le bafouillage… »
Quelques années plus tard, au cours de l’hiver 1960, un comédien français allait à son tour servir Shakespeare avenue Montaigne, mais cette fois-ci sur la scène de la Comédie des Champs-Elysées. Jean-Louis Trintignant est alors tout juste de retour de son service militaire et pense abandonner sa carrière de comédien qui « vivote » pour se tourner vers la photographie. L’homme de Théâtre Maurice Jacquemont, qui dirige alors la Comédie, fait appel à lui pour le rôle d’Hamlet. « Il m’a fait travailler tous les jours pendant un an et nous répétions dans le bar de la Comédie. Un jour après qu’il m’avait fait travailler l’un des monologues des jours et des jours, il m’a fait cet aveu : Tu as tout compris ; c’est tellement beau que je t’ai entendu parler anglais !. Dois-je préciser que ni lui ni moi ne parlions la langue de Shakespeare ! »
Comme quoi, la langue de Shakespeare est universelle et son message porte au-delà de la version dans laquelle elle est jouée.