Le Théâtre des Champs-Elysées et le « joli mois de mai » 1968
En ce mois de mai, il est, pour certains, toujours question de muguet et de bonheur, pour d’autres de prémisses des joies ensoleillées de l’été… ou de nostalgies contestataires. Mais que se passait-il donc au Théâtre des Champs-Elysées en 1968 ?
Jeudi 2 mai 1968
L’université de Nanterre est fermée
Ce même jour, à la Sorbonne, le bureau de la Fédération générale des étudiants en lettres est incendié par le groupe Occident.
Ce soir-là, le pianiste Rudolf Serkin (1903-1991) donne un récital consacré à Mozart, Schubert et Beethoven. Réputé pour ses interprétations de tant des « classiques » que des postromantiques, immense chambriste, Serkin fut un proche de Pablo Casals et contribua pour beaucoup à l’esprit si particulier de l’école de musique de Marlboro.
Vendredi 3 mai
La cour de la Sorbonne est occupée
Le lendemain, se tient un meeting dans la cour de la Sorbonne durant lequel la police effectue près de 600 interpellations. Cette journée est marquée par les premiers gaz lacrymogènes, les premiers lancers de pavés et les premières barricades du Quartier Latin. Une semaine plus tard, vendredi 10 mai, ce sera la première « nuit des barricades »… Progressivement, devant les images des violents affrontements avec les forces de l’ordre, l’opinion publique rejoint le mouvement des étudiants. Les syndicats appellent à la grève générale pour lundi 13 mai.
Pendant cette semaine décisive, le Théâtre n’a connu qu’un seul concert, mercredi 8 mai, avec l’Orchestre de Paris sous la direction de Paul Paray et au programme la Faust Symphonie de Liszt, le rare concerto pour piano de Roussel avec en soliste Leila Gousseau et L’Apprenti Sorcier de Dukas).
Lundi 13 mai
Gabriel Tacchino
Une gigantesque grève générale paralyse toute la France. A Paris, près d’un million de personnes défilent de la Garde de l’Est à Denfert Rochereau tandis que les étudiants, eux, poursuivent tardivement leur défilé jusqu’aux Champs-Elysées.
Cette ferveur parisienne n’empêche nullement la tenue du récital du jeune pianiste français Gabriel Tacchino (il est né en 1934), élève notamment de Francis Poulenc et dont il sera le premier à graver l’intégrale de l’œuvre pour piano du compositeur. Mais ce soir-là, il consacrera son récital à Mozart, Beethoven, Schumann et Liszt.
Mardi 14 mai
Le Théâtre de l'Odéon est occupé
Le lendemain, le Théâtre de l’Odéon et l’École des Beaux-Arts sont occupés et transformés en « ateliers populaires ».
Ce même soir se tient au Théâtre un concert de prestige avec la venue du Philharmonique de Berlin sous la direction de son directeur musical, Herbert von Karajan, alors au faîte de sa gloire.
Le concert est annoncé « sold out » et propose comme programme le rare concerto pour 3 pianos de Mozart K. 242 avec Karajan lui-même, l’autrichien Jorg Demus et un jeune allemand âgé alors de 28 ans, Christoph Eschenbach.
Jeudi 16 mai
Pendant toute la seconde quinzaine de mai qui verra le déroulé des délicates négociations des accords de Grenelle jusqu’à la dissolution de l’assemblée par le général de Gaulle, le Théâtre restera privé de musique.
Mais, avant cela, les spectateurs du théâtre applaudissent la grande Régine Crespin (alors encore soprano) en récital, dans un programme de Lieder de Schumann et mélodies de Debussy et Poulenc… loin de tout vacarme. Dans la salle, la discipline est de mise, comme le rappelle cette note en bas de page du programme : “Les auditeurs sont priés de ne pas interrompre chaque groupe de mélodies et d’attendre pour tourner les pages que chaque lied et son accompagnement soit terminé“.
Le début du mois de juin 68 voient se succéder le remaniement du gouvernement Pompidou, de violents affrontements en particulier aux Usines Renault de Flins puis la reprise progressive de l’activité administrative, économique et estudiantine. A la fin du mois de juin, les élections législatives donneront une large victoire aux gaullistes et à leurs alliés.
Le printemps des révolte s’essouffle définitivement.
Le Théâtre suivra le même rythme et après quinze jours sans représentation (21 mai-5 juin), il accueille dès le 6 juin un récital Chopin du pianiste Alexis Weissenberg, puis des concerts de l’Orchestre de Paris (8, 15 et 28 juin), des récitals de piano (Arthur Rubinstein le 10, le premier ici-même de la jeune Martha Argerich, alors âgée de 27 ans, le 13, Reine Gianoli le 20) ainsi que deux soirées avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin et Lorin Maazel (18 et 19).
En 1968, c’est bien le printemps qui fut « chaud » car en juillet, la pluie s’installe sur une grande partie de la France. Certains entament le voyage initiatique en Ardèche, d’autres révisent les examens reportés à septembre et le couple Pompidou se baigne dans le Morbihan. Le Théâtre rouvre ses portes en septembre. L’automne 1968 sera marqué par les prestations de deux grands de la chanson : la série des concerts célébrant les « 80 berges » de Maurice Chevalier et la création de L’Homme de la Mancha avec Jacques Brel.
Mais cela est une autre histoire….