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La vraie histoire de Marie Duplessis

La Traviata, Violetta Valéry, Marguerite Gauthier, Marie Duplessis… De Verdi à Alexandre Dumas-fils, de Dumas-fils à la vie réelle, tant de noms pour cette femme devenue légende. Qui était donc la vraie Traviata ?

Marie Duplessis fut une paysanne normande presque illettrée à l’enfance tourmentée, devenue la demi-mondaine qui a mis Paris à ses pieds en un an à peine, avant de s’éteindre de tuberculose à 23 ans.

Six ans seulement séparent la mort de Marie Duplessis de la première de La Traviata. Autant dire que l’ensemble du public connaissait le vrai personnage! Alors, pour retrouver cette contemporanéité si ardemment souhaitée par Verdi, voici de quoi en savoir autant – voire plus – que les spectateurs en 1853.*

L’enfance

Marie Duplessis, peinte par Édouard Viénot. Rue des Archives / The Granger Collection

Rose-­Alphonsine Plessis naît dans une famille malheureuse de paysans normands au bord de la misère. Son père, un colporteur alcoolique du nom de Marin Plessis, bat sa mère, qui meurt lorsqu’Alphonsine a 7 ans. Marin abandonne sa fille formellement un an plus tard, la laissant survivre chez des parents charitables. Elle est blanchisseuse apprentie. Lorsqu’elle a 14 ans, son père refait surface et la vend à un homme septuagénaire avec la réputation détestable de débaucheur. Puis, Marin l’emmène à Paris – où, selon l’une des légendes, il la “perd”, la laissant se débrouiller seule dans une métropole hostile.

Alphonsine, comme elle s’appelle pour l’instant, travaille dans une blanchisserie, puis chez un tailleur… mais il est impossible, pour les filles de l’époque, de survivre sans le soutien de leur famille: une vendeuse gagnait 22 francs par mois en travaillant 13 heures par jour, six jours par semaine. Alors, lorsqu’un restaurateur du Palais-Royal la remarque et lui propose de la “mettre dans ses meubles”, le choix est vite fait. Un appartement à soi, et 3000 francs pour couvrir ses dépenses initiales: sa nouvelle vie est lancée.

Elle n’a que 16 ans, et elle s’ennuie…

Marie Duplessis, peinte par Jean-Charles Olivier vers 1840

De la beauté à l’élégance

Dans le portrait donné d’elle par Alexandre Dumas fils, elle était “grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les dents les plus belles du monde, on eût dit une figurine de Saxe.

Mais pour l’instant, voici tout: elle est belle à tomber, mais ignare… C’est là que, au bal du Prado, elle rencontre celui qui changera sa destinée. Agénor de Guiche sera son Pygmalion, la transformant en une femme raffinée dont le salon attirera la fine fleur de la littérature française, de Balzac à Alfred Musset.

Qui était donc Alfredo, alias Armand Duval?

Armand Duval (chez Dumas) et Alfredo Germont (chez Verdi) auraient en réalité non pas un mais plusieurs modèles – d’ailleurs, presque toutes les liaisons de la Duplessis se terminaient par l’intervention de la famille de ses amants lorsque les choses allaient trop loin.

Agénor de Gramont (ici en 1853), par Eliseo Scala (c) collection Gramont

Agénor de Gramont (ici en 1853), par Eliseo Scala (c) collection Gramont

Mais pour l’instant, voici Agénor de Guiche, futur duc de Gramont et ministre sous Napoléon II. Il la couvre de vêtements et de bijoux – mais, surtout, il lui fait prendre des cours de français, de dessin, de musique et de danse, et lui fait adopter un nouveau nom, Marie Duplessis, aux sonorités plus aristocratiques. (Vous venez de penser à Pretty Woman? C’est tout à fait ça). La famille Gramont ne voyant pas d’un bon œil cette liaison, le père d’Agénor intervient pour mettre fin au scandale et Agénor est expédié à l’étranger.

Parmi les amants de Marie Duplessis, Alexandre Dumas-fils lui-même: il a entretenu avec elle une relation amoureuse en 1844-45, qu’il finit par rompre, n’ayant pas les moyens de l’entretenir. Pour être sûr que ses lecteurs ne s’y trompent pas, il a donné à son héros ses propres initiales, Alexandre Dumas devenant Armand Duval.

Enfin, le comte Edouard de Perregaux emmène l’intrigue plus loin: après une première opposition de sa famille, il finit par épouser Marie Duplessis. Malheureusement, il semblerait que Marie convoitait son titre pour impressionner Franz Liszt, avec lequel elle entretenait une relation passionnée – et qui est fort sensible aux connections dans la bonne société (fils d’une femme de chambre, il ne cessera de chercher à se rapprocher des grands de ce monde)… mais pas suffisamment pour accepter l’offre de Marie Duplessis de l’accompagner dans sa longue tournée de 18 mois. “Je ne vous dérangerai pas“, plaidait Marie. “Je dors toute la journée… et la nuit, vous ferez de moi ce que vous voudrez“.

La fin

Après le refus de Liszt, et se sachant malade, elle se jette dans une consommation de fêtes à outrance qui ont inspiré tout le premier acte de La Traviata. La tuberculose est alors une maladie incurable (les premiers traitements n’apparaissent qu’à la fin des années 1940), et extrêmement fréquente: en Europe, 1 décès sur 4 lui est dû à l’époque. Marie Duplessis était probablement déjà malade à l’époque de sa relation avec Dumas-fils, et avait consulté un certain nombre de grands médecins (et de grands charlatans, qui aggravèrent encore son état). Le seul remède connu à l’époque fut le repos total – c’est ainsi que le séjour à Bougival (où elle habite lors de sa relation avec Dumas-fils), et, en miroir, le séjour de Violetta et Alfredo à la campagne, sont vécus comme des moments d’espoir, des parenthèses de bonheur.

Moins d’un an plus tard, elle meurt à Paris, en compagnie de deux de ses anciens amants, Edouard de Perregaux et Edouard Delessert.

Charles Dickens déjà s’étonnait : “Paris est corrompu jusqu’à la moelle, écrivait-il à son ami le comte d’Orsay. Depuis quelques jours, toutes les questions politiques, artistiques et commerciales sont délaissées par les journaux. Tout s’efface devant un événement d’une bien plus haute importance : la mort romanesque d’une de ces gloires du demi-monde, la célèbre Marie Duplessis…

Son corps fut jeté dans une fosse commune, avant d’être récupéré sur ordre d’Edouard de Perregaux qui lui fit édifier une tombe au cimetière de Montmartre, toujours visible aujourd’hui.

Deux semaines plus tard, on vendait aux enchères l’ensemble de ses possessions, que tout Paris s’arracha jusqu’à la moindre épingle à cheveux.

La postérité

Peu avant sa mort, Marie Duplessis aurait confié à sa femme de chambre, “J’ai toujours ressenti que je reviendrai à la vie” (phrase qui se retrouve dans l’une de ses dernières répliques dans La Traviata) – et, d’une certaine manière, ce fut le cas.

Un an après sa mort, Alexandre Dumas publiait “La Dame aux Camélias“, qu’il transformait ensuite en une pièce à succès, avant de se faire voler la vedette par Verdi avec La Traviata, 6 ans plus tard.

Et les camélias, alors?

Les camélias seraient une “pure invention” qu’Alexandre Dumas-fils admettra vingt ans plus tard. La vraie Marie Duplessis aimait les roses et les violettes… d’où son deuxième nom de scène, Violetta Valéry!

L’appartement de Marie Duplessis, au 1er étage du 11, bd de la Madeleine (vue actuelle Google Maps).

*Le personnage de Marie Duplessis est devenu une légende, et, pour chaque détail, on trouve plusieurs versions dans les nombreux témoignages de l’époque. Nous nous baserons ici sur l’un des livres les plus récents qui lui sont consacrés, celui de Julie Kavanagh dans “The Girl Who Loved Camellias” (non traduit en français).

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