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A la rencontre de... Joan Bracco

Joan Bracco - Droits réservés
Joan Bracco - Droits réservés

Photographe et dessinateur, Joan Bracco est reconnu pour ses photographies d'art, d'architecture et de design. Son travail se caractérise par une attention particulière aux détails et à l'éclairage, créant des images intenses et évocatrices. Il collabore pour la première fois avec le Théâtre des Champs-Élysées à l'occasion de la nouvelle saison 2025-26.

Comment êtes-vous venu à la photo ? 
En réalisant par la pratique du dessin d’observation que sous certains angles les choses pouvaient apparaître étranges ou même invraisemblables. L’appareil photographique permettait de témoigner de cela mieux que le dessin, qu’on aurait pu soupçonner de déformation volontaire. Plus tard, au cours de mes études artistiques à l’Ensad, la photographie a pris davantage d’importance pour enregistrer ce pour quoi le dessin aurait nécessité trop de temps. Une urgence boulimique de ne pas laisser la beauté filer. Devenu graphiste, assujetti à l’écran d’ordinateur, je décidai finalement de quitter le métier pour la photographie afin de me confronter davantage au monde physique par la marche, l’observation et la rencontre des autres.

Une rencontre décisive ?
Le sculpteur Charles Auffret, professeur de dessin aux Beaux-Arts enseignait de percevoir d’abord le modèle vivant depuis sa structure interne et l’élan de son mouvement intérieur. Tout le reste, le contour, le style même en découlerait. Cette approche continue d’orienter ma perception.

Votre premier choc artistique ou visuel ? 
L’immersion dans Venise quand j’avais 5 ans a suscité une fascination mélée de la peur de finir englouti par la lagune ou perdu dans son labyrinthe et de l’émoi d’une possible élévation par les éclats de son rayonnement. Cette ville reste un modèle d’unité visuelle, œuvre d’art totale raffinée à toutes les échelles. Selon l’humidité de la lagune, le «Caligo», brume de Venise, diffuse cette lumière vaporeuse et argentée qui lui confère un aspect fantomatique et comme hors du temps. 

Quelles sont vos sources d’inspiration ? 
Arpenter les musées, les rues, les ruines, les forêts, les bibliothèques. Et suivant Léonard de Vinci au sujet des tâches ou des nuages : «c’est dans les choses confuses que l’esprit trouve matière à invention»

Les qualités d’un « bon œil » ? 
Voir un peu flou. Contre la course à toujours plus de netteté. Et afin de favoriser une vision proche de l’abstraction graphique ou impressioniste qui laisse vibrer le sujet. Avoir digéré les «maîtres», et suffisamment de schèmes ou récits visuels avec lesquels pousser la discussion. Un œil capable de créer du lien et connecter visuellement des éléments disparates, établir des correspondances, des échos, des résonnances. Un œil sur pattes qui engage le corps, en dehors des sentiers battus, en se rendant disponible et en s’ouvrant à l’inattendu. Provoquer le hasard, les rencontres, les coïncidences, guidé par l’intuition. 

Les artistes qui vous inspirent ? 
Vermeer, malgré l’usage de la camera oscura, a peint délibéremment flou. Je m’y ressource souvent pour l’extrême délicatesse de sa mise en lumière de gestes simples du quotidien et la substance de sa lumière. Picasso pour ses indélicatesses plastiques et sa maestria d’iconoclaste prolifique.

Au sein de la street photography, je retiens les coloristes oniriques que sont Saul Leiter, Harry Gruyaert, ou Gueorgui Pinkhassov. Au piano, le trio Chopin-Schubert-Debussy. Monk en jazz... Les forêts d’Akira Kurosawa au cinéma, l’architecture évanescente de Kazuyo Sejima... Et bien d’autres...

Vermeer, La Femme en bleu lisant une lettre (vers 1662-1665) © Rijksmuseum, Amsterdam

 

Saul Leiter Harlem, 1960 © Saul Leiter Foundation
Saul Leiter Harlem, 1960 © Saul Leiter Foundation

 

Votre plus grande émotion visuelle ? 
L’éclipse du 11 août 1999 en pleine nature fut l’expérience d’une métamorphose par la lumière à grande échelle. Une lumière sans direction apparente, argentée, auréolée sur tout l’horizon. Un mélange de journée orageuse, de lumière lunaire et d’aube inquiétante, le tout concentré en quelques minutes dans une ambiance éléctrique et euphorisante. Un moment qui nous rappelle notre place dans l’univers et nous fait vivre les mouvements de la nature en accéléré. La nature y fait subitement silence. On assiste aux «ombres volantes». Les abeilles, paraît-il, retournent à la ruche en urgence. A quel point la lumière nous transforme, influence nos mouvements et nos actes. Prochain rendez-vous des astres (partiel) le 29 mars 2025 !


La plus belle des lumières ?
 
Les photographes surgissent comme des papillons aux heures dorées (dites «golden hours») qui succèdent au lever du soleil ou précèdent son coucher pour des qualités photogéniques reconnues et rassurantes. Pour autant chaque lumière, dure ou douce, froide ou chaude, directe ou indirecte, qui divise ou qui unifie renvoie à une tonalité qui peut faire écho à des émotions ou états d’âme et donc au moment particulier d’un sujet. La lumière est la plus belle quand elle est simplement en adéquation avec l’expression du sujet. J’ai tout de même un penchant pour les lumières liminales qui invitent à l’introspection et à la rêverie. Une lumière promesse qui fait la part belle à l’ombre. La lumière des commencements ou de certains génériques de fin. Le «Sfumato» inventé par Léonard de Vinci, consiste en transitions douces entre ombre et lumière. Les contours semblent se dissoudre. Cette imprécision permet une qualité de présence, mouvante, vibratoire.

Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau © Musée du Louvre
Léonard de Vinci, Sainte Anne, la Vierge et l'Enfant Jésus jouant avec un agneau © Musée du Louvre

 

Vos passions en dehors de la photo ?
Le dessin, le piano, la philosophie.

Qu’est-ce que la musique apporte à votre œil ?
La musique m’est une grande source d’énergie qui réconforte, recentre et donne des ailes. Jouer de la musique me permet de développer une meilleure écoute y compris visuelle en m’apprenant à devenir intérprète du réel comme une partition, dans l’intensité de l’instant. Je perçois aussi un lien entre l’intensité du déclic et l’intensité de la note juste.

Si vous n’étiez pas photographe, vous seriez…
J’ai repris le chemin buissonnier du dessin...

Pour en savoir plus joanbracco.com

Arborescence © Joan Bracco
Arborescence (1) © Joan Bracco

 

Arborescence © Joan Bracco
Arborescence (2) © Joan Bracco