

On fête en ce mois de mars 2025 le centième anniversaire de la naissance de Pierre Boulez qui « gouverna » presque sans résistance plus d’un demi-siècle de la musique dite « sérieuse » en France. S’il fut à l’origine de lieux désormais emblématiques à Paris – l’Ircam, la Cité de la Musique et la Philharmonie - il fut également, pendant quarante ans, un hôte régulier du Théâtre des Champs-Elysées comme spectateur, compositeur et chef d’orchestre.
Un atelier d’apprentissage
Le Théâtre des Champs-Elysées, ce fut avant tout un de mes ateliers d’apprentissage. Ayant été engagé par Jean-Louis Barrault dans sa compagnie comme responsable de la musique de scène, je n’avais pas beaucoup de soirées libres. J’étais beaucoup plus disponible pour suivre les répétitions du matin ou de l’après-midi, n’allant qu’assez rarement au concert. J’y ai pourtant vécu des soirées qui m’ont marqué soit par leur qualité, soit par les réactions d’un public passablement imprévisible.
Dès l’après-guerre, il se glissa avenue Montaigne à de nombreuses répétitions, y dirigea en 1963 son premier Sacre parisien, y fêta son 70e anniversaire au pupitre de six concerts mémorables et y revint jusqu’au début du XXIe siècle à la tête de quelques-unes des grandes formations françaises (Orchestre National, Orchestre de Paris) et européennes (BBC Symphony Orchestra, London Symphony Orchestra, Wiener Philhamoniker). S’il ne dirigea pas d’opéra avenue Montaigne en dehors d’un rare Hippolyte et Aricie en 1964, il y fit entendre la plupart de son répertoire symphonique de prédilection.
Un premier pupitre fondateur
Le 18 juin 1963, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’inauguration du Théâtre des Champs-Elysées, conjointement à celui de la création du Sacre du printemps, la salle de l’avenue Montaigne ouvrit ses portes à un jeune chef d’orchestre de trente-huit ans dont le nom était encore peu familier aux habitués des concerts classiques. Cinq compositions d’Igor Stravinsky figuraient ce soir-là au programme : Quatre études pour orchestre, Le Roi des étoiles, Symphonies d’instruments à vent, A Sermon, a Narrative and a Prayer et Le Sacre du printemps. A la tête des chœurs de la RTF et de l’Orchestre National de la RTF : Pierre Boulez.
A propos du Sacre, justement, le cinquantième anniversaire de sa création approchait : mai 1913-mai 1963. Je ne sais qui exactement a eu l’idée qu’on me demande de diriger cette soirée. Après bien des hésitations, j’accepte le challenge : c’était risqué - je n’avais pas acquis beaucoup de métier.
Le Sacre du printemps tenait pour Pierre Boulez, et tient toujours pour le Théâtre qui l’a vu naître en 1913, une place majeure dans leurs histoires respectives. Sa dernière venue ici en tant que spectateur fut le 4 juin 2013 pour une représentation du Sacre chorégraphié par Pina Bausch et donné sur une musique enregistrée… celle de sa propre version gravée en 1969 à la tête du Cleveland Orchestra (Sony).
Des certitudes ? Oui mais…
Il goûtait peu aux bilans, leur préférant les perspectives. A l’occasion – encore une fois avenue Montaigne – d’une incroyable série de concerts à la tête de du London Symphony Orchestra en 1995 pour fêter son 70e anniversaire, il avait accepté de s’y pencher… Pour mieux s’en affranchir.
Les bilans sont toujours provisoires, mais au fur et à mesure que l’on avance, ils se stabilisent quelque peu. Il existe un certain nombre de compositeurs, et même d’œuvres, qui m’ont toujours attiré, impressionné, marqué de façon durable et inaltérable. Sans vouloir toujours la confrontation, une certaine anthologie nous poursuit et nous requiert ; elle exige presque, à des intervalles irréguliers et parfois imprévisibles, d’être retrouvée, de nouveau soumise à l’épreuve du miroir, de se voir transgressée. Nous changeons, et l’anthologie ainsi considérée se modifie à notre image. C’est ainsi que je voudrais considérer ces programmes où une œuvre de moi est entourée par les œuvres des compositeurs qui m’ont formé, œuvres auxquelles je tiens par tout un réseau d’influences et de réciprocité. Le choix est restreint ; il aurait pu comporter d’autres œuvres et d’autres compositeurs, mais le but n’était pas d’établir une sorte d’encyclopédie, fût-elle à usage personnel. Qu’on considère ces six programmes plutôt comme un fragment, une coupe de mon existence musicale : ils assument quelques certitudes, mais posent un certain nombre de questions… C’est du moins le but proposé.
Toutes les citations de Pierre Boulez sont extraites de la Chronique Pierre Boulez « aux Champs »
Collection Chroniques du Théâtre des Champs-Elysées, texte de Robert Piencikowski (60 pages – 12 euros)
En vente ici