Sur les traces de Ganna Walska en Californie
Nous avons souvent évoqué la figure de Gabriel Astruc, le fondateur du Théâtre, et ses choix visionnaires pour l’inauguration de son « Palais Philharmonique » en 1913. Mais connaissez-vous Ganna Walska ? Elle fut la propriétaire du Théâtre de 1922 à 1970 ! Nous sommes partis sur ses traces en Californie…
C’est une histoire qui débute en Pologne à la fin du XIXe siècle, grandit entre Paris, New York et Chicago dans les années 20-30 et se conclut à Santa Barbara en Californie après-guerre.
Originaire de Pologne et beauté fatale des années de l’entre-deux guerres, Ganna Walska (1889/91-1984) débuta tôt une carrière d’apprentie chanteuse lyrique et d’épouse fortunée. Elle eut six maris tout au long de sa longue existence dont deux extrêmement riches, les industriels américains Alexander Smith Cochran (1920-22) puis Harold Fowler McCormick (1922-1931). Elle vécut les années 20-30 entre la France et les Etats-Unis, se partageant entre ses cours de chant, quelques engagements de circonstance et surtout une intense vie mondaine.
Mais ce qui fait nous intéresser à cette figure singulière est le fait qu’elle reçut le Théâtre des Champs-Elysées comme preuve d’amour de ses 3e et 4e époux, Cochran puis McCormick et surtout qu’elle en resta propriétaire pendant 48 ans. Elle acquit les premières parts de la Société Immobilière du Théâtre des Champs-Elysées en 1922 mais il lui fallut attendre 1928 pour qu’elle puisse pleinement bénéficier du bail d’exploitation jusque-là tenu par Rolf de Maré et Jacques Hébertot.
Entre temps, elle s’est essayée sur plusieurs scènes en France et aux Etats-Unis sans vraiment convaincre. Sa plus grande réussite musicale reste le fait d’avoir donné un lieu, en l’occurrence le Théâtre, et des moyens à Walther Straram, l’un des plus grands chefs français de l’entre deux guerres et qu’elle avait probablement rencontré à Boston. Disparu prématurément en novembre 1933, Straram aura quand même eu le temps en quelques saisons de créer un orchestre et une programmation symphonique parmi les plus ambitieuses et réussies de l’entre-deux guerres.
Mais revenons à Ganna Walska. Elle divorça de McCormick en 1931 et perdit ainsi une partie des moyens qu’elle pouvait mettre à disposition de son Théâtre. En septembre 1939, elle quitta l’Europe pour les Etats-Unis, d’où elle ne revint quasiment pas. Elle s’installa en Californie à Santa Barbara et se consacra à ce qui fut la « seconde grande œuvre » de sa vie, l’aménagement de Lotusland, un jardin aujourd’hui considéré comme l’un des dix plus beaux au monde.
Il y a quelques temps, l’opportunité nous a été donnée d’être en contact avec l’équipe de Lotusland en Californie et d’échanger autour de nos archives respectives. Leurs fonds est immense et concerne toutes les activités de Ganna Walska, des plus artistiques aux plus mondaines. Il faut dire que Madame conservait tout ou presque ! Depuis les factures de rénovation des tentures de son salon parisien jusqu’au télégrammes de Caruso, les billets de la Comtesse Greffhule et d’innombrables échanges avec ses avocats et juristes américains et français ! Nous avons donc eu l’occasion de nous rendre à Lotusland et de plonger dans ces riches archives inédites où l’on voit défiler une vie entière sur près de 70 ans et à travers deux continents.
Nous retracerons au printemps prochain la Chronique de l’incroyable destin de cette figure musicale, sa carrière, ses engagements pour les musiciens et son rôle dans la vie de ce Théâtre qu’elle aimait profondément et pour lequel elle sollicita directement André Malraux, alors ministre de la Culture, pour que l’état français le rachète à la fin des années 60, tant elle était convaincue de son importance dans l’Histoire musicale parisienne du XXe siècle.
Toutes les illustrations de l’article sont issues du fonds d’archives de la Fondation Ganna Walska – Lotusland