Calendrier

Portrait de ville : Vienne par Mitsuko Uchida

La pianiste japonaise Mitsuko Uchida a découvert Vienne à 12 ans, lorsque son père diplomate y a entraîné sa famille dans les années 1960. L’une des interprètes les plus raffinées du répertoire romantique et de la seconde école de Vienne, Mitsuko Uchida évoque ses souvenirs de la capitale autrichienne.

Vous avez habité à Vienne lorsque vous aviez entre 12 et 24 ans. Que ressentez-vous lorsque vous y retournez ?

J’adore cette ville, et j’aime cette langue, ce rythme un peu débraillé de l’accent autrichien. Il y a quelque chose de physique dans ce rapport à la langue.

Quelle impression vous avait fait Vienne à l’époque ?

Le mot « Vienne » ne voulait rien dire pour moi. Je n’étais qu’une enfant qui faisait du piano… On est arrivé début janvier. Il faisait un temps glacial, sombre, gris, misérable – sauf lorsqu’on entrait à l’Opéra. Il y avait des représentations fantastiques. Avant cela, je n’avais jamais assisté à un concert symphonique, et la seule musique sérieuse que j’avais jusqu’alors j’eus entendue, c’était la moitié d’un Aïda, à la fin des années 50…

Je me souviens de cette marche magnifique dans Aïda et de la voix de Giulietta Simionato qui chantait Amnéris. Je suis profondément reconnaissante à mon père : en tant que fonctionnaire, il refusait toujours les cadeaux que l’on lui offrait, mais ces deux invitations à l’opéra, il les avait conservées. Il a donné un billet à l’aînée de la famille, ma sœur, qui a vu l’opéra dans sa totalité. Quant à moi, j’ai vu la première partie sur les genoux de l’un de mes parents, puis j’ai laissé ma place à mon frère de 2 ans pour la deuxième partie. Lui a vu la mort de Radamès et Aïda – moi, je ne savais pas comment cela s’était terminé !

Pour ce qui est des concerts à Vienne, l’orchestre « par défaut » était le Philharmonique de Vienne, et 90% des opéras étaient alors dirigés par Herbert von Karajan… Donc oui, Vienne a été l’endroit qui a eu le plus d’influence sur moi, même si ma vie d’adulte a commencé à Londres.

Où aimiez-vous aller, en dehors de l’Opéra ? Des cafés-concerts ?

A l’époque, les cafés empestaient la cigarette ! La fumée était partout. Vous n’imaginez pas combien mon professeur de piano fumait : on ne le voyait jamais sans une cigarette entre les doigts. Après une heure de cours dans son cabinet, tout le monde se précipitait pour ouvrir les fenêtres – on voyait à peine à travers la fumée ! En plus de ne pas aimer la cigarette, je n’aimais pas l’alcool, donc aller au Heuriger * était impensable – cela l’est encore aujourd’hui…

J’ai passé beaucoup de temps entre la maison d’opéra, les salles de concert et mon studio piano au sous-sol… C’était ça, Vienne, pour moi. Mais aussi la langue et sa littérature.

Café Demel - Vienne

Café Demel – Vienne

Quelle est la première chose que vous faites lorsque vous retournez à Vienne aujourd’hui ?

Je vais acheter mon gâteau chez Demel (rires). Ensuite, je réfléchis à ce que je voudrais faire : je peux faire un tour au Kunsthistorisches Museum que j’adore, ou juste me promener dans le centre-ville, voir ce qui passe à l’Opéra… Une autre chose dont je raffole, surtout en hiver, c’est les maroni – une purée de châtaignes recouverte de chocolat noir en forme d’un marron. Ou un bon wiener Schnitzel. Voilà les gourmandises de Vienne.

Finalement, vous avez gardé ce qui s’exportait le mieux : la langue, la littérature… et les gourmandises !

Absolument. Si je n’avais pas été à Vienne, je ne serais pas qui je suis aujourd’hui. Certes, la langue allemande aurait eu la même importance quelle que soit la provenance, mais j’aime infiniment l’idée d’une langue viennoise. Je ne sais pas comment parlait Schubert, mais j’adore pouvoir l’imaginer.

* Le terme Heuriger désigne en Autriche des enseignes gastronomiques qui ne servaient, à l’origine, que le vin de la dernière année écoulée. Le terme „heuer“, utilisé en Autriche et dans le Sud de l’Allemagne, signifie “cette année”. Le nom “heurigen” en est dérivé. (Source Wikipédia)

Récital Mitsuko Uchida

 
Samedi 16 avril - 20H