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Joséphine, la « Reine de la danse sauvage »

Il y a 96 ans, Joséphine Baker montait pour la première fois sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées. Cette soirée allait marquer sa carrière, mais aussi tout le milieu du spectacle français. Le spectacle devenu légendaire oscille entre le goût de l’exotisme de l’époque et ses fantasmes coloniaux, entre l’admiration sincère devant une danseuse hors normes et une érotisation raciste de sa beauté “sauvage”. Sous la plume de Jacques Pessis, nous vous faisons découvrir cette soirée du 2 octobre 1925.

Samedi 2 octobre 1925, vingt heures.

Il n’y a plus un strapontin de libre dans la salle du Théâtre des Champs-Elysées. Le Tout Paris ne veut manquer à aucun prix la « générale » de ce spectacle dont tous les journaux parlent depuis plusieurs jours : La Revue Nègre. Les « étoiles noires », et des musiciens de jazz, célèbres à New-York, arrivent enfin à Paris.

La première partie se révèle sans grandes surprises. On applaudit mollement des danseuses, et des numéros d’acrobatie. L’ambiance monte à l’entracte. Saint-Granier, un jeune auteur de revues fait sourire une assistance, qui commence à frémir à l’annonce d’un « jazz nègre », venu interpréter des airs en vogue à New York.

Enfin, les lumières s’éteignent, et le rideau rouge se lève doucement sur un décor de gratte-ciel, signé Paul Colin. Des danseuses précèdent l’entrée de Sidney Bechett suivi d’un big band au grand complet. Les applaudissements sont déjà plus nourris.

Enfin, Joséphine Baker apparaît, seule sur le plateau.

Un murmure parcourt aussitôt la salle. Sa manière de faire se mouvoir son long corps d’ébène fait vibrer l’assistance. Très vite, elle se déchaîne, improvise. Et on l’accompagne volontiers en tapant des pieds et des mains.

Une heure plus tard, lorsqu’elle apparaît dans le foyer, Joséphine est ovationnée par les invités du cocktail de première qui suit la représentation. En larmes, elle se jette dans les bras de sa productrice, Caroline Dudley. C’est elle qui l’a repérée dans un cabaret de New York, et l’a convaincue de traverser l’Atlantique pour venir à Paris présenter ce spectacle, à l’image de ceux de Harlem.

Pourtant au cours des répétitions, personne n’imaginait qu’elle allait rafler la mise…

Trois jours avant…

Trois jours avant la première représentation, André Daven, directeur artistique du Théâtre des Champs-Elysées, a le sentiment qu’il manque ce « petit quelque chose » qui peut faire la différence, et faire passer cette Revue Nègre d’un succès d’estime à un triomphe absolu.

Joséphine Baker et la troupe de la revue à Paris

Il demande l’avis de l’un de ses amis, Jacques-Charles, directeur artistique du  Moulin-Rouge, et auteur des revues de Mistinguett, qui affichent complet tous les soirs. La « consultation » procure des recommandations très précises : Jacques-Charles juge le spectacle trop « parisien » et pas assez « nègre ». Il suggère à Joséphine d’apparaître la peau nue, couverte de plumes. Elle refuse. Elle est une danseuse, pas une strip-teaseuse… Et finit par céder.

Au lendemain de son triomphe, les critiques sont unanimes. Joséphine Baker est désormais la « reine de la danse sauvage ». Les représentations, prévues jusqu’au 15 octobre, se poursuivent, à guichets fermés, jusqu’à la fin du mois de novembre. Un an après, Joséphine devient meneuse de revue aux Folies-Bergère, avec, autour de la taille, une ceinture de bananes qui va dès lors accompagner sa légende.

La danse avec la ceinture de bananes, symbole érotique et raciste passé presque inaperçu à l’époque

// Extrait du texte de Jacques Pessis publié dans l’ouvrage retraçant 100 ans d’histoire du Théâtre des Champs-Elysées (Co-édition Théâtre des Champs-Elysées / Verlhac Ed. , 2013)