Histoire du Soldat de Stravinsky, une création en temps de guerre
Le « mimodrame » de L’histoire du Soldat est un petit bijou musical et théâtral revisitant le mythe de Faust au travers du destin d’un soldat déserteur, sur une musique terriblement moderne pour l’époque avec ses ragtime, ses airs de jazz et de tango.
Nous sommes à l’hiver 1917-18. Stravinsky est alors en exil et dans une mauvaise passe financière, ses avoirs ayant été gelés par la Révolution bolchévique. En Suisse où il réside désormais, il se lie d’amitié avec le chef d’orchestre Ernest Ansermet qui lui présente un jeune poète, Charles Ferdinand Ramuz. Leur entente est parfaite et les voilà imaginant ensemble un spectacle léger qui pourrait justement, par ses temps de pénuries, être facilement présenté sur des petites scènes. Le souvenir des théâtres ambulants s’impose, de même le principe d’un groupe restreint d’instrumentistes. Le trio initial est bientôt rejoint par l’acteur et metteur en scène Georges Pitoëff, lui aussi immigré russe installé depuis peu en Suisse avec sa jeune épouse Ludmila, qui assurera le rôle de la danseuse lors de la création.
La création en Suisse
Ils seront donc onze sur scène le soir de la première représentation le 28 septembre 1918 : 7 instrumentistes, 3 comédiens et une danseuse. Stravinsky évoquera la création dans ses Chroniques de ma vie en ces termes : « … La première représentation du Soldat me donna une satisfaction complète et non seulement au point de vue musical. Tout le spectacle fut une véritable réussite, par son unité, le soigné de l’exécution, la mise au point parfaite et la justesse du ton. »
Le crash des espoirs, et la renaissance parisienne
La grippe espagnole qui ravageait alors l’Europe eu raison des projets de tournée en Suisse. Il fallut attendre presque six ans pour qu’au printemps 1924, L’Histoire du Soldat connaisse une seconde vie, cette fois-ci à Paris sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées. Depuis 1922, son directeur Jacques Hébertot avait invité Georges Pitoëff à le rejoindre, et c’est donc presque naturellement que le quatuor Stravinsky / Ramuz / Ansermet / Pitoëff se reforma pour la création française de 1924.
Des interprètes de légende
Le choix des voix parlées est primordial dans l’équilibre texte / musique voulu par Stravinsky et Ramuz. Il faut comme l’on dit des « voix ». Igor Markevitch en son temps avait réalisé un enregistrement avec Jean Cocteau en lecteur, Jean-Marie Fertey en soldat et Peter Ustinov en diable.
Plus tard Pierre Boulez avait réuni autour de lui les musiciens de l’Ensemble InterContemporain, Roger Planchon en lecteur, Patrice Chéreau en soldat et Antoine Vitez en diable.
Le 7 octobre, trois illustres noms de la Comédie-Française, Didier Sandre (le lecteur), Denis Podalydès (le soldat) et Michel Vuillermoz (le diable), l’ont à leur tour gravés pour Harmonia Mundi (parution ce mois-ci) et le donneront en Concert du Dimanche Matin sur la scène de la naissance parisienne de l’œuvre.