Connaissez-vous Brahms ?
Si le corpus musical brahmsien a été abondamment disséqué, documenté, analysé et interprété, l’homme lui-même, à la personnalité complexe et secrète, offre pour ses biographes bien des zones d’ombre. Que connaissons-nous donc de Brahms, cet énigmatique pianiste virtuose au physique de Poseidon germain?
Fils d’une modeste couturière et d’un contrebassiste dont les émoluments dans l’orchestre municipal lui permettent tout juste de faire vivre sa famille, Johannes Brahms garde de son enfance austère et laborieuse un goût pour les plaisirs simples d’un génie « ordinaire », mais également une soif d’apprendre inextinguible. Après le solfège et le piano, qu’il étudie avec Otto Cossel d’abord, le réputé Eduard Marxsen lui ouvre ensuite les portes d’un monde inconnu où les figures tutélaires ont pour nom Bach, Mozart et Beethoven. A sa mort, sa bibliothèque contient plus de 800 volumes !
C’est dans cette modeste maison située au n° 60 de la Speckstrasse à Hambourg, dans le quartier portuaire d’Altona, que Johannes Brahms voit le jour le 7 mai 1833.
Johanna Christiane Henrika Brahms, née Nissen, mère de Brahms (1789 – 1865)
Quelques portraits de lui à vingt ans, en 1853, nous le présentent comme un jeune homme blond avec un visage d’ange, dont la ressemblance avec Friedrich von Schiller est assez frappante. Derrière ce visage doux et imberbe se cache une âme tendre et timide, presque une âme d’enfant. D’aucuns y verront plus tard celle d’un homme torturé, en proie à des conflits internes oscillant entre timidité jalouse et besoin insatiable de tendresse. Toujours est-il que Brahms voue une affection profonde à ses parents, notamment à sa mère avec laquelle il échangea une vaste correspondance, même si la pauvre femme, sans grande culture, avait bien du mal à répondre à son fils ; quand l’inspiration lui manquait, elle recopiait naïvement les faits divers des journaux ! La mort de celle-ci, en 1865, lui inspirera son Requiem allemand.
Brahms en 1853, à l’âge de 20 ans à Leipzig.
© Musik Hochschule Lübeck, Brahms- Institut
© Bibliotheque Inguimbertine, Carpentras
En-dehors du cercle familial, Brahms s’est montré toute sa vie durant d’une fidélité exemplaire. A Beethoven, d’abord, qu’il admirait au-delà de tout et « à cause » duquel il mettra près de vingt ans à composer sa première symphonie, paralysé qu’il est par le modèle qu’il a lui-même sacralisé. Avec ses amis ensuite, proches ou plus éloignés, n’hésitant pas à délier les cordons de sa bourse pour aider les artistes dans l’embarras.
Cet immense orgueil et cette incapacité à exprimer ses sentiments profonds cachent aussi la fragilité d’un artiste qui souffrit peut-être du vide relatif de son existence, qui ne pouvait être remplie entièrement de son art. Johannes Brahms était loin d’être un homme d’un contact facile. Cordial et joyeux avec ses intimes, il témoignait aux autres brusquerie et sarcasmes. Une anecdote donne une idée assez exacte de l’opinion qu’on se faisait à Vienne de ses manières : sortant d’un salon, il aurait dit en se retournant avant de franchir la porte : « S’il est ici quelqu’un que j’ai oublié de blesser, je lui en fais toutes mes excuses. »
En réalité, son combat est ailleurs. La force ténébreuse de ses œuvres, ourlées d’un romantisme sombre contenu dans les limites d’un certain classicisme, révèlent chez Brahms un tempérament passionné dont le courant tumultueux et mélancolique cède souvent la place à des fulgurances lumineuses qui illustrent on ne peut mieux la quintessence même du romantisme allemand.