Cinq histoires sur Svetlana Zakharova
La “tzarine de la danse” Svetlana Zakharova revient enfin à Paris après plusieurs années d’absence. Retour tant attendu des nombreux amateurs de ballet, et une occasion pour nous de vous la faire (re)découvrir !
1. Seule à 10 ans
A l’origine, Svetlana Zakharova ne rêve pas du tout de devenir ballerine. C’était le rêve de sa mère, dont les parents avaient refusé que leur fille continue ses études de danse.
A dix ans, Svetlana s’apprête à rejoindre son père militaire stationné en Allemagne. La veille du départ, sa mère décide de faire auditionner Svetlana à l’Ecole de ballet de Kiev. Persuadée que sa fille ne passera pas le premier tour, elle achète un aller-retour Loutsk-Kiev dans la journée. Svetlana passe au 2e tour. C’est la gardienne de l’école qui les héberge chez elle le soir… Tour après tour, Svetlana avance dans la sélection pour être finalement prise.
A l’internat, la petite Svetlana partage sa chambre avec sept autres jeunes filles. Sa mère vient la voir tous les week-ends, et chaque séparation est un déchirement. Svetlana fait ses exercices par obéissance, par amour pour sa mère… mais pas encore par amour de la danse. Elle profite des vacances d’hiver pour ne pas revenir à l’école, et passe six mois en Allemagne. Sa mère lui fait retenter la sélection à l’été suivant… Nouveau succès ! Elle peaufine sa technique sans grand enthousiasme… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’elle y est meilleure que tout le monde (par ici pour la voir danser à l’âge de 15 ans).
A 15 ans, on l’invite à intégrer l’académie Vaganova à Saint-Pétersbourg, directement en dernière année : fait unique dans l’histoire de cette école légendaire. Elle n’y rate pas un seul cours, même lorsqu’elle est malade ou souffre d’une blessure : une soif d’apprendre et une volonté de fer !
2. La jeune fille “merveille”
C’est à 17 ans que la “jeune fille merveille”, comme on l’appelait alors, devient la plus jeune soliste du Mariinsky, dans Giselle. Elle n’aura passé qu’un an dans le corps de ballet avant d’être propulsée soliste puis étoile.
(Giselle avec Nikolaï Tsiskaridze, en 2003, à l’âge de 24 ans. Ce rôle accompagne Zakharova pendant toute sa vie. Pour les curieux, voici la même scène, dansée en 2015)
Cette ascension fulgurante a son prix : très vite, elle ressent des douleurs dans le talon, a mal lorsqu’elle saute… Le corps n’est pas encore assez fort pour maîtriser la charge de travail d’une étoile. On ne lui trouve aucun problème médical, et elle ne voit guère de solution jusqu’à ce qu’un médecin lui dise : ” La douleur vainc la douleur“. C’est donc avec la douleur qu’elle se réveille, passe ses journées et danse depuis plus de 20 ans, sans se poser de questions. Son art passe en premier.
3. Le monde du ballet la découvre
Svetlana Zakharova a 21 ans lorsqu’elle part en tournée avec le Mariinsky. Mikhail Baryshnikov est dans la salle. On ne le dit à Zakharova qu’à la fin : “Baryshnikov ne va jamais en coulisses à la fin, ne l’attends pas, mais sache qu’il t’a beaucoup appréciée“. L’histoire aurait pu s’arrêter là… mais, le soir suivant de la tournée, Brigitte Lefèvre, directrice de la danse de l’Opéra de Paris, est dans la salle. Ce n’est qu’un an plus tard que Zakharova apprendra qu’elle y était sur le conseil de Baryshnikov.
Elle obtient sa première invitation à danser à l’Opéra de Paris (“J’avais cru à un canular !“, racontera-t-elle plus tard), son nom est sur toutes les lèvres… et sa carrière internationale, lancée. Encore aujourd’hui, c’est la seule ballerine étrangère à avoir été nommée Etoile du Ballet de La Scala (elle détient le même titre au Bolshoï à Moscou).
(Svetlana Zakharova et Igor Zelensky en 2000 ; Zakharova a 21 ans, donc à peu près la période où Baryshnikov l’a découverte).
4. L’histoire d’un autographe
Il y a une dizaine d’années, Svetlana Zakharova assiste à un concert avec la participation de Vadim Repin, l’un des violonistes les plus connus aujourd’hui. C’est la première (et la dernière) fois de sa vie où elle est impressionnée au point d’aller demander un autographe à la fin du concert. Geste prémonitoire, Vadim marque “Avec mes vœux de bonheur“, formulation qu’il n’utilise jamais dans ses autographes.
Ils ne se revoient qu’un an plus tard, un peu moins par hasard. Repin joue en récital avec le pianiste Nikolaï Lugansky, à qui il demande – en secret – d’inviter Zakharova, que Lugansky connaît bien. Zakharova assiste au concert, mais, quotidien de ballerine oblige, refuse de dîner et rentre chez elle…
Ce serait la fin de l’histoire si, encore un an plus tard, les deux artistes ne se retrouvaient pas tous les deux à Tokyo, par le hasard de leurs tournées respectives. Ils ne se quitteront plus.
5. La tsarine de la danse
C’est ainsi que la presse se réfère le plus souvent à Zakharova aujourd’hui. Depuis la retraite de la génération de Sylvie Guillem, puis d’Aurélie Dupont et Ouliana Lopatkina, elle est la reine incontestée du ballet classique. On loue ses fameux “six o’clock” (l’arabesque penché), son évanescence, son visage comme sculpté par la lumière, ses bras expressifs, sa technique sans faille qui s’efface devant le jeu d’actrice… Chacune de ses représentations est un évenement.
Svetlana Zakharova a la chance aujourd’hui de choisir ses projets, ses partenaires… et ses chorégraphes. C’est donc pour elle que Mauro Bigonzetti et Yuri Possokhov ont créé les ballets “Come un respiro” et “Gabrielle Chanel” que Zakharova présentera à Paris en octobre.
Toujours attentive à l’incarnation de ses personnages, elle s’est longuement renseignée sur Gabrielle Chanel, a visité son appartement privé, lu ses mémoires, étudié ses mimiques, pour créer le premier biopic dansé de la grande couturière.
Rendez-vous en octobre !