André Chénier, le premier des romantiques
Avec l’opéra Andrea Chénier, Umberto Giordano a fait d’André Chénier, poète emblématique de la Révolution française, l’un des rôles mythiques de l’opéra vériste italien, sans que l’on connaisse toujours bien le destin tragique de l’homme dont aucune des œuvres ne sera publiée de son vivant... Retour sur la vie trop brève de l’un des précurseurs du romantisme.
Un enfance voyageuse
André Chénier voit le jour le 30 octobre 1762 à Constantinople. Son père est consul général de France, sa mère issue d’une famille latine d’Orient marquée par la tradition grecque. De cette Grèce ottomane, André Chénier ne garde que des impressions fugaces, puisque la famille s’installe en France lorsqu’il a trois ans. Confié à son parrain, il passe son enfance à Carcassonne, avant de revenir à Paris poursuivre ses études au réputé collège de Navarre (actuel Lycée Louis-le-Grand). Sa mère ouvre un salon qui ne désemplit pas, et le jeune André baigne dans un bain fertile qui exalte et encourage son penchant pour la poésie grecque, qu’il traduit dès l’adolescence. Il porte en lui l’idée rayonnante d’un héllénisme immortel et le met en vers, empruntant à la culture grecque des formes comme l’élégie ou bien les iambes (vers composé de deux syllabes, une brève et une longue), ou encore plusieurs sujets mythologiques.
Après un voyage en Italie et un autre en Suisse, où il se pose longuement au bord du Lac Léman, il est nommé secrétaire à l’ambassade de France à Londres pendant trois ans, période durant laquelle il effectue de nombreux séjours à Paris car il s’éprend tour à tour de mondaines, d’artistes, de femmes mariées, pour lesquelles il compose force odes et autres élégies à l’antique (Les Bucoliques, A Fanny...).
Un engagement affirmé
Parallèlement, il participe au mouvement révolutionnaire et rallie en 1790 le Journal de la société de 1789 et le Journal de Paris en tant que journaliste. Proche du parti constitutionnel, il dénonce avec force les excès de la Terreur à partir de 1791. Le girondin Brissot, mais aussi et surtout les jacobins Marat et Robespierre sont directement concernés par sa vindicte et il ne tarde pas à être inquiété par les autorités. Il fuit Paris juste avant les massacres de septembre 1792, mais au lieu de se faire discret, revient dans la capitale avec l’espoir d’éviter l’échafaud à Louis XVI... Après l’exécution du souverain en 1793, la crise politique a atteint son paroxysme. En apprenant la mort de Marat, André Chénier compose une Ode à Charlotte Corday, précipitant ainsi son inévitable arrestation.
Le 7 mars 1794, il se promène dans Paris avec son amie et complice contre-révolutionnaire Emilie-Lucrèce d’Estat, activement recherchée par la police car elle est la maîtresse de José Ocariz, ancien ambassadeur d’Espagne s’étant distingué en plaidant la cause du roi devant la Convention. Chénier sait que si elle est arrêtée, elle sera envoyée à l’échafaud sans autre forme de procès. Il fait donc rempart de son corps, invective la police, confesse tout et son contraire, de telle façon que Mademoiselle d’Estat puisse profiter de la confusion et s’enfuir. Plus tard, elle reviendra à Paris sous la protection de Talleyrand et épousera Ocariz.
Poète jusqu’au bout
Arrêté à la place de sa protégée, Chénier est donc enfermé à la prison Saint Lazare. Il sait que ses chances de s’en sortir sont bien minces, malgré toute l’énergie déployée par son frère cadet, Marie-Joseph Chénier, membre de la Commune de Paris et député à la Convention. Pour mémoire, entre juin 1793 et juillet 1794, le Tribunal révolutionnaire juge sommairement, emprisonne et décapite. Depuis juin 1794, une loi supprime même l’interrogatoire et la défense, ce qui laisse au tribunal un choix sans équivoque : acquittement ou exécution. Dans son cachot, André Chénier fait la connaissance de sa compagne d’infortune : Aimée de Coigny, jeune salonnière qui risque l’échafaud au seul motif de sa naissance, et qui lui inspire son poème La Jeune captive, composé la veille de sa mort :
Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S’éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces vœux d’une jeune captive ;
Et secouant le faix de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.
Le 7 thermidor de l’an II (soit le 25 juillet 1794), André Chénier, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, est conduit à l’échafaud. Il a trente-et-un ans, et la légende raconte qu’avant le geste fatal du bourreau, il aurait soigneusement corné le livre de Sophocle qu’il était en train de lire avant de le ranger dans sa poche. Robespierre sera arrêté deux jours plus tard, ce qui sauvera de justesse Aimée de Coigny.
Une reconnaissance posthume
André Chénier est ainsi l’une des toutes dernières victimes malchanceuses de la Terreur, ce qui contribua certainement à sa légende. Son œuvre, assez brève, ne fut publiée qu’en 1819. Considéré par les romantiques comme leur précurseur, il a notamment inspiré Alfred de Vigny, Victor Hugo, Alfred de Musset, Lamartine, mais aussi Charles Péguy et René Char. Chénier est mort, un renouveau poétique est né. Et pour clore ce cercle vertueux, Umberto Giordano retrace en musique la vie de cet homme engagé et pétri de convictions : nul doute que les chanteurs d’Andrea Chénier, emmenés par Daniele Rustioni à la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra de Lyon, sauront rendre un vibrant hommage à ce poète épris de liberté.