Six histoires sur Arcadi Volodos
Le pianiste russe Arcadi Volodos est un mystère, et, pour certains musiciens, presque un demi-dieu… Rare en concert (pas plus de 35 par an !), rare au disque (il préfère l’électricité de la scène au silence d’un studio), rare en Russie, où il ne joue presque jamais, et rarissime (mais si chaleureux) en interview.
Portrait d’un musicien hors normes que l’on accueille au TCE pour un récital unique le 8 janvier prochain.
1. Arcadi Volodos a failli ne pas devenir pianiste
Etonnant, mais Arcadi Volodos n’a commencé à étudier le piano professionnellement qu’à l’âge de 16 ans. Fils de deux chanteurs lyriques, il a étudié à la Capella, une école formant des chefs de chœur d’où, raconte-t-il, il a failli être renvoyé à plusieurs reprises. Parallèlement, il assiste aux cours de “piano complémentaire”, obligatoires pour toutes les études de musique en Russie.
Vers 13-14 ans, il découvre, sur de vieux vinyles de son oncle, des enregistrements de Rachmaninov, Cortot et Schnabel et résout de se consacrer au piano. Il n’a encore jamais joué de pièces excédant trois minutes. Il décide pourtant de tenter d’intégrer l’école auprès du Conservatoire de Saint-Pétersbourg, l’une des institutions les plus renommées du pays… où on lui conseille de devenir plutôt accordeur, le jugeant d’une “excellente oreille” mais autrement “sans avenir” (le terme terrible de “bezperspectivny”, sans perspective).
Volodos travaille d’arrache-pied pendant 2 mois, réussit le concours… pour finalement quitter le pré-Conservatoire, où il ne se plaît pas, pour son équivalent à Moscou. Il y rencontrera sa professeur, Galina Eguizarova. “C’est la première personne qui m’a dit “Tu seras pianiste”. Si je ne l’avais pas rencontrée, j’aurais abandonné le piano“.
2. De Moscou à Carnegie Hall
Le chemin fut tortueux. A 19 ans, Arcadi Volodos déménage à Paris où est installé son père, y suit des cours avec Jacques Rouvier, puis part pour Madrid…
Il ne rêve même plus de devenir pianiste concertant, et envoie des cassettes audio dans des conservatoires en Espagne, espérant décrocher un poste de professeur. C’est là qu’il est remarqué, on lui propose un concert, puis un autre…
Mais ce n’est pas fini ! Il a 25 ans lorsqu’un producteur de chez Sony Classical, Thomas Frost, est de passage à Paris pour un voyage d’affaires. Un ami le persuade d’assister à un concert privé d’un pianiste “extrêmement talentueux”. L’audition se passe dans une maison à Antibes, et Frost – qui a produit une grande partie des enregistrements de Horowitz – propose à Volodos un contrat sur le champ. Il dit alors : “Ce n’est qu’une fois dans une vie que l’on tombe sur quelqu’un d’aussi talentueux qu’Arcadi Volodos. Il a tout : de l’imagination, de la couleur, de la passion, et une technique phénoménale qui lui permet de réaliser ses idées.” La carrière météorique est lancée, avec un récital à Carnegie Hall deux ans plus tard !
3. L’anti-virtuose
Au début de sa carrière, Volodos est salué pour sa technique démoniaque – il joue alors des transcriptions d’Horowitz, de Liszt… Pendant presque deux décennies, il est qualifié avant tout de “super-virtuose”, un profil parfait d’une bête à concours ! Mais c’est mal connaître le pianiste qui, déjà à l’époque, sait ce qu’il recherche, et ne sert que la musique.
“Les compétitions, les concours sont contraires à ma nature, il me semble très étrange de jouer sur scène un seul prélude et fugue de Bach, puis une œuvre romantique, puis encore autre chose. Il vaudrait mieux interpréter plusieurs préludes, cela aurait beaucoup plus de sens. Ce qui est important pour moi, ce n’est pas le processus de l’accession à la gloire, c’est la musique“.
Il a évolué aujourd’hui, peut-être plus qu’aucun autre pianiste : les œuvres qu’il interprète commencent leur maturation avec le premier concert, atteignent une première étape au disque, mijotent encore (à comparer, son premier enregistrement Schubert avec celui qui vient de sortir, après ses interprétations des mêmes sonates en récital au TCE). Mais surtout, il choisit des œuvres de plus en plus intimistes, virtuoses dans leurs silences et non dans la quantité de notes à jouer.
4. Volodos a une drôle de manière de répéter
On vous a toujours dit que les pianistes professionnels jouent 6-7 heures par jour avant d’enchaîner avec le concert du soir ? Rien à voir avec la méthode Volodos, qui trouve qu’il est nocif de jouer beaucoup (“et pour les mains, et pour l’oreille“), et considère comme “vain” le temps passé à s’entraîner à lépoque de ses études.
“J’apprends une œuvre par la lecture, sans la jouer. C’est beaucoup plus utile. De plus, je mène une vie nocturne, je travaille sur un piano électrique, la nuit. Il n’a pas de sensibilité en termes de nuances de toucher (…), mais de toute façon, sur scène, tous les pianos sont différents, et ce qui convient pour un, ne conviendra pas à un autre“. Alors, il ne joue qu’environ deux heures par jour, tandis que la vraie interprétation se crée dans sa tête : “J’entends, dans mon esprit, les timbres et les couleurs que je souhaite obtenir, et mes doigts obéissent à mon oreille“.
5. Pourquoi Volodos se produit-il si peu en récital ?
De 90 concerts par an dans sa première jeunesse, il est passé à 60, puis à 30-40 (à titre de comparaison, Denis Matsuev donne environ 250 concerts par an). Non pour entretenir la rareté, mais pour se ressourcer et garder la fraîcheur des sens. Mais c’est aussi pour passer du temps en famille, avec sa fille qui a cinq ans aujourd’hui, qu’il a réduit son activité. “Je ne suis pas un homme à pouvoir tout faire !“
Après une longue tournée, le pianiste avait besoin d’une vingtaine de jours de silence, sans toucher le piano, passés entre les livres ou dans la nature… mais ça, c’était avoir d’avoir un enfant qui adore entendre son père au piano (“et ce n’est pas la Pathétique de Beethoven que je lui joue, c’est plutôt des musiques de dessins animés !“, éclate-t-il de rire).
Au disque, les raisons sont tout autres : « J’évite autant que possible de rajouter des disques inutiles sur le marché » déclare Arcadi Volodos. D’autant plus qu’il n’aime pas s’écouter – son jeu évolue tellement qu’il est rarement content de ses enregistrements des années plus tard.
Pourtant, de Sony, il avait obtenu des conditions exceptionnelles : “enregistrer au cours d’un maximum de trois sessions, en nocturne – parce que je me sens davantage inspiré quand je joue la nuit. La journée, en studio, je ne peux rien produire : c’est impossible“. Toujours est-il qu’un enregistrement, pour lui, ne transmet pas le principal : le contact avec le public, l’atmosphère, l’énergie.
6. Volodos collectionne les éloges des critiques… tout en avouant qu’il n’y a rien à en dire
On a rarement vu les critiques aussi enthousiastes. Et, si le public connaît relativement peu Volodos en France, la presse et les musiciens, eux, ne s’y trompent pas ! «This Russian piano god ascends to the pantheon», écrit The Times (“Le dieu russe du piano accède au panthéon“). “Le Sorcier“, lui réplique Classica. “Spellbinding, enchanting” (“Envoûtant, enchanteur“), sussurre le Financial Times.
Du côté de ses pairs, c’est carrément au statut d’un dieu que le pianiste est élevé. Au détour d’une interview la saison dernière, Deborah Nemtanu, premier violon de l’Orchestre de chambre de Paris, nous parlait de Volodos en ces termes :
Quant au principal intéressé… N’attendez pas de lui autre chose que des récitals magiques… “La musique a été créée pour être jouée et écoutée, et non pour qu’on en discute. Il n’y a rien à dire sur elle !”
Rendez-vous donc en janvier !
Sources : interview 1 (2011, en russe), 2, (2011, l’interview la plus intéressante qu’il ait donnée en français) 3 (2005, en russe), 4 (biographie en anglais), 5 (2001, en russe), 6 (2017, émission France Musique, en français)