Jean-Claude Malgoire, un Roy aux Champs-Elysées
Jean-Claude Malgoire fut un immense musicien et chef d’orchestre comme de troupe lyrique qui a accompagné 50 ans de vie musicale française. Mais c’était aussi un curieux gourmand et un gourmet généreux. Si Tourcoing l’avait tôt adopté lui et sa « famille » de musiciens (combien de fois l’a t’on entendu les rappeler à la concentration sous l’affectueuse formule « Allez, les enfants, au travail »), le Théâtre des Champs-Elysées fut sa maison parisienne, une maison qu’il fréquenta pendant plus de cinquante ans.
Les débuts du jeune musicien
Au début des années 60, alors tout jeune musicien fraîchement sorti du Conservatoire, il commence modestement par quelques cachets de « supplémentaire » au sein de l’orchestre qui accompagne les représentations des Ballets du Marquis de Cuevas avant de tenir le pupitre hautbois au sein de la Société des Concerts du Conservatoire que dirige alors André Cluytens. En 1967, il joue du cor anglais au tout jeune Orchestre de Paris, ce qui lui donne l’occasion de se produire sous la direction de Charles Munch, Karajan (un mémorable Requiem de Verdi), Seiji Ozawa et même de créer notamment le concerto pour cor anglais de Skrowaczewski et Sequenza VII de Berio. Mais très vite, il se passionne pour l’effervescente « vague baroque » qui déferle en provenance du nord de l’Europe et dont il sera l’un des acteurs parmi les plus actifs en France. Fin 1966, il crée la Grande Ecurie et la Chambre du Roy pour réaliser un ambitieux projet discographique inauguré par un premier disque consacré à des pièces pour instruments à vents de Lully et Campra. La « niche » baroque est encore confidentielle mais LA consécration vient en 1985 avec le premier enregistrement de l’Alceste de Lully. La scène suivra et le Théâtre de l’avenue Montaigne devient son port d’attache. Seconde consécration, scénique cette fois-ci, cette même année avec l’Ariodante de Haendel, spectacle signé Pizzi devenu pierre fondatrice du « baroque français » avec l’Atys de William Christie deux ans plus tard à l’Opéra-Comique.
Dès lors, se succéderont ses présences régulières dans le répertoire ancien bien sûr mais aussi pour Mozart et plus récemment Rossini. Rappelons quelques rendez-vous importants de ces trente dernières années : en 1991, il inaugure avec Alceste mis en scène par Jean-Louis Martinoty un ambitieux cycle Lully avec des jeunes chanteurs qui l’accompagneront dans de nombreuses aventures. Car Jean-Claude Malgoire fut aussi tout au long de sa carrière un incroyable dénicheur et accompagnateur de voix. Au début des années 1990, ils ont pour nom Véronique Gens, Sandrine Piau, Howard Crook, Gilles Ragon, Nicolas Rivencq, Sophie Marin-Degor, Norah Gubish… Toute une fidèle et soudée génération formée autant à l’Ecole Malgoire qu’à celle de William Christie et qui connaîtront de belles carrières.
Une fidélité à toute épreuve
Fidélité fut en effet un mot qui compta dans l’engagement et la trajectoire de Jean-Claude Malgoire. Fidélité à des artistes, à des scènes et à une productrice qui fut aussi et avant tout son amie, Jeanine Roze. C’est en 1993 que Jean-Claude inaugure sa présence dans le cadre des Concerts du Dimanche Matin où on l’entendra au fil des saisons servir Bach, Gluck, Mozart, Pergolèse (compositeur pour qui il « osa » inviter Sonya Yoncheva, alors toute jeune soprano inconnue à Paris), Bizet, Stravinsky, Rossini… Ce compagnonnage s’illustrera aussi par une Trilogie Mozart Da Ponte mise en scène avec son complice Pierre Constant où les trois opéras sont alors présentés dans un décor unique et une troupe de chanteurs alternant les rôles. La fête mozartienne se poursuivra avec La Flûte enchantée (et la première Pamina de Sandrine Piau) avant qu’en 2001 surgisse la trilogie Monteverdi (où l’on repère les premiers pas d’un petit jeune contre-ténor… Philippe Jaroussky). A l’hiver 2005-2006, c’est carrément à un « Jubilé Jean-Claude Malgoire » que l’on assiste avec successivement Rinaldo, L’Orfeo, Alceste et Les Indes Galantes (là apparaissent les noms de Stéphanie d’Oustrac et Cyril Auvity). Plus récemment c’est avec Rossini qu’il nous avait régalé, dont un Barbier à Séville et une Italienne à Alger avec un autre complice, le metteur en scène Christian Schiaretti.
Le 22 janvier 2018, il dirigeait ce qui devrait être son dernier concert ici, La Création de Haydn. Nous aurions dû le retrouver le 2 mai suivant pour Pelléas avec notamment Sabine Devieilhe qu’il avait pris sous son aile depuis peu. Mais le destin en avait décidé autrement et Jean-Claude est parti sans prévenir le 14 avril. Ces deux Concerts du Dimanche Matin de ce printemps 2019, prévus depuis longtemps, reflètent autant l’artiste que l’homme : son goût pour le répertoire ancien qu’il a brillamment servi en infatigable pionnier et cette jovialité toute « rossinienne » qui le rendait souvent si facétieux et pour beaucoup si attachant.