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    Henry Desmarest ou le destin contrarié

    L’histoire de la musique regorge de personnalités contrastées, d’existences en demi-teintes, de gloires éphémères et d’ambitions déçues. Il est des pans de vie dont on ne peut que dessiner en pensée, avec les élans salutaires que l’imagination procure et quelques entorses aux vicissitudes des siècles, des issues différentes, des chemins de traverse et des cabrioles temporelles qui auraient rendu justice au destin. A cet égard, la vie de Henry Desmarest (dont on ne possède aucun portrait avéré) est exemplaire, au sens premier du terme, et il occupe une place singulière dans le paysage musical du baroque français.

    Une jeunesse prometteuse

    Abbaye (aujourd’hui disparue) et Eglise Saint-Germain-L’Auxerrois

    Fils d’un modeste huissier, Henry Desmarest voit le jour à Paris en 1661. Orphelin de père dès 1668, il intègre le chœur de Saint-Germain l’Auxerrois puis entre au service de Louis XIV en 1674, comme page de la Chapelle royale, où il se forme à l’écriture chorale avec Pierre Robert et à l’art de chanter « à l’italienne » auprès de Henry Du Mont. Très doué pour la composition et le chant, il est également impressionné par Lully, dont il crée Isis en 1677 en tant que choriste.
    Sa voix ayant mué, il quitte les pages de la Chapelle Royale en 1678 avant de s’établir à Versailles en 1682. Devenu « ordinaire de la musique du roi », il compose notamment un ballet pour la naissance du duc de Bourgogne qui obtient les faveurs de la cour. L’année suivante, à 22 ans, il s’enhardit et concourt au poste de sous-maître de la Chapelle Royale, où quatre places sont à pourvoir. Hélas, les intrigants, les roués courtisans, sa candeur et son manque d’expérience l’écartent de ces prestigieuses fonctions, Louis XIV préférant retenir des musiciens plus à même d’asseoir leur autorité.

    Le mirage de la reconnaissance… et la chute

    Frontispice de la partition de Didon Bibliothèque nationale de France

    L’un de ces sous-maîtres de la Chapelle Royale nouvellement nommé, l’Abbé Nicolas Goupillet, personnage falot et prétentieux, médiocre musicien, se voit alors dépassé par sa charge : il fait donc appel à Desmarest qui, moyennant rétribution, compose en son nom plusieurs motets, dont l’abbé tire gloire en lieu et place de son « nègre de composition ». Lecerf de La Viéville (musicographe de l’époque) rapporte cette anecdote : un jour que Desmarest est à la Chapelle du Roi pour entendre l’exécution d’un motet de sa composition secrètement donné à l’Abbé Goupillet, un seigneur qui veut se piquer d’être connaisseur et de pouvoir donner devant le monarque des preuves tangibles de ses capacités, lui dit : « Marchez-moi doucement sur le pied aux plus beaux endroits pour y applaudir à propos. » Au premier coup d’archet, le jeune musicien ne manque pas d’écraser le pied du seigneur jusqu’à la fin du morceau, ce qui fait dire à ce dernier, courroucé : « Ha ! Parbleu, Monsieur, vous m’en apprenez trop pour la première fois, et je n’en veux savoir davantage ». La vérité éclate en 1693 : le félon Goupillet ayant eu l’imprudence de suspendre ses versements à Desmarest, celui-ci, alors auréolé du succès de sa récente Didon, qui vient juste d’être créée, décide de dévoiler la supercherie. Ridiculisé, le roi renvoie Goupillet… mais attribue à Delalande le poste vacant. Desmarest n’en a cure et croit voit s’ouvrir devant lui un avenir brillant : entre 1693 et 1698, six tragédies lyriques et deux opéras-ballets de sa composition sont représentés à l’Académie Royale de Musique. Las ! Le sort en a décidé autrement : veuf depuis peu, il échange une promesse de mariage avec MarieMarguerite de Saint-Gobert, l’une de ses jeunes élèves âgée de 19 ans. Le père de la jeune fille s’oppose violemment à cette union, mais les « fiancés » ont une petite fille et se voient contraints de fuir à Bruxelles pour échapper à la justice française, le père ayant entamé une action judiciaire pour séduction et rapt. C’est ainsi que le 28 mai 1700, Desmarest est condamné par contumace à être pendu en effigie en place de Grève.

    Le douloureux exil madrilène

    Philippe V par Hyacinthe Rigaud – Château de Versailles

    Plus question de retourner en France, Desmarest se voit contraint de chercher fortune à l’étranger pour échapper à cette sentence irrévocable et renonce à ses ambitions à la cour. A Bruxelles, il rencontre Agostino Steffani, qui l’initie à l’art musical italien, puis obtient un poste en Espagne sous la protection de Philippe V (ironie des filiations : le propre petit-fils de Louis XIV !). Arrivé à Madrid début juin 1701, il est nommé « Maestro de música de la cámara » et prend la direction d’une troupe de musiciens français chargés de divertir le Roi et la Reine d’Espagne. Mais son bonheur est de courte durée : dès 1703, pour d’obscures raisons liées à la guerre de Succession d’Espagne, les musiciens sont licenciés. Desmarest reste pourtant à la suite du Prince et ses années dans ce pays foncièrement mystique accentuent sa prédilection pour les compositions dans les tonalités mineures. Fin 1705, Philippe V réduit ses appointements et le compositeur est confronté à de grandes difficultés matérielles, ainsi qu’à une crise existentielle.

    L’apaisement lorrain

    André Joly, Le château de Lunéville, vue du Rocher, vers 1760 – Musée Lorrain

    Pourtant, à l’été 1706, alors que ses malheurs semblent indissociables de ceux que traversent la monarchie espagnole, on lui offre la surintendance de la musique à la cour de Lorraine. Desmarest accepte immédiatement et s’installe à la cour en avril 1707. Le duc et la duchesse Elisabeth-Charlotte aiment beaucoup la musique et souhaitent faire de Lunéville un second Versailles. Par ailleurs, la duchesse a eu l’occasion d’entendre la musique de Desmarest lorsqu’elle était enfant et son souvenir lui fait accueillir le compositeur avec beaucoup de bienveillance. Les souverains vont même jusqu’à construire un théâtre à côté du palais ducal à Nancy. Ces années lorraines sont les plus heureuses de la vie de Desmarest, qui est sur tous les fronts : productions lyriques, concerts de la chambre, offices religieux. Il est à la tête d’un ensemble de plus de 60 musiciens recrutés en Lorraine, mais aussi en France, en Allemagne et en Italie. Au fond de lui, il garde cependant la nostalgie de son pays natal. Pleinement absous et réhabilité par le Régent en 1720, il compose pour Louis XV Renaud ou la suite d’Armide en 1722, espérant peut-être une reconnaissance plus « effective» de ses pairs. Il ne retrouvera pourtant jamais de poste important, même à la mort de Delalande. Il se retire à Lunéville où il s’éteint en 1741.
    Il n’était donc que justice d’éclairer d’une lumière nouvelle ce compositeur délaissé et méconnu, mis au ban d’une société musicale bien tristement rancunière. C’est Hervé Niquet, à la tête de son Concert Spirituel, qui présentera au public parisien, avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, sa Didon, 328 ans après sa création à l’Académie Royale de Musique.

    Hervé Niquet, à propos de Didon de Desmarest

    Retrouvez le 23 mars 2021
    Didon – Henry Desmarest
    Hervé Niquet, Le Concert Spirituel

    Avec Véronique Gens, Reinoud van Mechelen, Thomas Dolié, Marie Perbost
    Judith Van Wanrooij, Marie Gautrot, Marine Lafdal-Franc, Nicholas Scott, Guilhem Worms