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C’était il y a 110 ans... #1

Episode 1

En ce tout début de printemps 1913, le tout Paris mondain et financier, tout comme le « gouvernement de la République au grand complet » accourent vers la Place de l’Alma. Un projecteur de la Tour Eiffel est exceptionnellement braqué sur un nouvel édifice de l’avenue Montaigne. Car ce soir-là, Gabriel Astruc ouvre les portes de son nouveau Théâtre, son rêve d’un « Palais Philharmonique », et va ainsi écrire la première page d’une histoire tout aussi magnifique que de courte durée pour lui.

Affiche Benvenuto Cellini

Lundi 31 mars 1913

Ce soir-là a lieu en effet la première représentation publique du Théâtre des Champs-Elysées. Il s’agit du Benvenuto Cellini de Berlioz, un ouvrage que l’on n’avait pas entendu à Paris depuis 1838, avec une distribution de star (M. Lapelleterie dans le rôle-titre, Suzanne Vorska en Teresa, Judith Lasalle en Ascanio, Georges Petit en Fieramosca, M. Dangès en Balducci et M. Blancard en Cardinal Salviati, sous la baquette de Felix Weingartner dans une mise en scène de Ernest van Dyck). Tout était donc réuni pour que cette soirée d’inauguration soit l’événement. Et elle le fut. Depuis quelques mois déjà, Paris bruissait de rumeurs flatteuses quant à la modernité de ce nouveau Théâtre. Et Gabriel Astruc, en bon directeur artistique mais également en fin publiciste, n’avait pas ménagé ses efforts pour faire de sa saison d’ouverture un moment d’histoire.

Carton invitation Gabriel Astruc et Faisceau Tour Eiffel

Un bâtiment était construit « autour de la musique »

Le nouveau Théâtre n’avait pas été seulement pensé comme un chef-d’œuvre d’architecture et d’art réunissant de nombreux talents au service d’une idée moderne de la scène,  mais aussi comme l’écrin à la fois de la musique, de l’opéra, de la danse et du théâtre, avec une programmation et une hauteur de vue sans précédent que le critique de la revue Comoedia soulignait dès février : le bâtiment était construit « autour de la musique ». Il n’était en effet pas seulement question de la prouesse des frères Perret, du génie d’Antoine Bourdelle et de Maurice Denis, du plaisir de découvrir un nouveau lieu de mondanité. Il s’agissait aussi et surtout d’une entreprise artistique, d’une sorte d’œuvre d’art totale.

11e étude Facade Bourdelle

11e étude de la façade de Bourdelle

Concert unaugural du TCE

Les riches heures d’avril 1913

Après le Berlioz inaugural, tout juste suivi le lendemain du Freischütz de Weber donné en français et avec Rose Féart en Agathe, ce fut le tour d’un mythique concert de musique française où Saint-Saëns, Dukas, Fauré, D’Indy et Debussy montent tour à tour au pupitre pour diriger leurs propres œuvres puis vinrent Lucia di Lammermoor et Le Barbier de Séville, tous deux sous la direction de Lorenzo Camilieri et avec notamment Maria Barrientos. Rappelons également qu’à l’époque, chaque soirée lyrique était clôturée par un court spectacle de danse qui donnait lieu à des créations dont les prestations d’Anna Pavlova dans La mort du Cygne de Saint-Saëns (chorégraphie de Michel Fokine), de Natalia Trouhanova, dédicataire de l’œuvre dans La Péri de Paul Dukas et de Loïe Füller, dans ses légendaires voiles, créant la version scénique des Nocturnes de Debussy. Weingartner fut de retour au pupitre à la mi-avril pour un Festival Beethoven à la tête de la Société des Nouveaux Concerts, où Lilli Lehmann vint le rejoindre pour quelques airs du maître de Bonn.


Des projets grandioses

Fort de sa relation avec Richard Strauss dont il avait produit la première française de Salomé en 1907 au Chatelet, Astruc avait envisagé qu’il allait pouvoir donner au cours de ce printemps 1913 Le Chevalier à la Rose et Elektra qui devaient être dirigés alternativement par le compositeur et Thomas Beecham… Un projet trop grandiose et dispendieux qui ne put malheureusement voir le jour. Le génie d’Astruc résidait, en effet, dans cette vision ambitieuse qui consistait à présenter les œuvres et les talents les plus novateurs tout en rendant hommage aux gloires installées en même temps qu’à des œuvres majeures de l’histoire de la musique.

Affiche Avril, mai et juin 1913

Si l’ouverture du Théâtre reste dans les mémoires, c’est parce qu’elle reflète la richesse d’une époque, sa diversité, le croisement de siècles qui s’enchaînent, les racines les plus profondes comme les bourgeons les plus verts et la rencontre des générations : lors de la création du Sacre, Camille Saint-Saëns, qui avait joué aux Tuileries devant le roi Louis-Philippe en 1845 et Edgar Varèse, dont la pièce Déserts devait déchaîner un autre scandale au même Théâtre des Champs-Elysées en 1954, n’étaient-ils pas assis dans la même salle ?

Rendez-vous en mai pour la suite du récit de cet incroyable printemps 1913 avenue Montaigne.